Les transitions professionnelles, enjeu clé d’une réforme du marché du travail

A l’occasion de son colloque 2014 ayant pour thème “Autonomie, mobilités, transitions : comment repenser le travail ?”, la Fondation Travailler Autrement a formulé une série de recommandations concrètes au gouvernement, représenté par François Rebsamen, Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social.

Après avoir avoir prononcé le discours d’ouverture du colloque (à lire en intégralité sur travail-emploi.gouv.fr), il a réagi à ces propositions dans une interview exclusive pour la Fondation Travailler Autrement  :

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> Voir aussi l’étude européenne 2014 sur les transitions professionnelles

Notre système juridique, social et politique a créé depuis des décennies une forte dualité du marché du travail. Ceux que l’on appelle les insiders, disposant d’une relative stabilité contractuelle bénéficient de protections plus importantes que ceux que l’on qualifie d’outsiders, travailleurs précaires ou chômeurs, même s’il n’a pas été démontré unanimement que la protection des uns soit à l’origine de la précarité des autres.

Ce système social n’a pas évolué en phase avec les mutations sociétales des formes d’emplois comme des groupes sociaux. Conçu à une époque particulière – celle où un salarié pouvait escompter une carrière de 40 ans au sein de la même société –, il s’est progressivement désajusté de la société dans laquelle nous vivons. Dans une économie faite de cycles courts, de besoin permanent d’adaptation, ne pas reconnaître que la protection sociale doit changer de forme, c’est condamner à l’errance la majorité de ceux qui se situent entre les deux pôles de stabilité de notre système (emploi ininterrompu contre chômage de très longue durée).

Or, cette population « intermédiaire » ne cesse plus désormais de gagner en importance – 17,5% des actifs français sont à temps partiel (28% d’entre eux estimant « subir » cette situation) – comme en pérennité – moins de 15% des Français en contrat temporaire sont parvenus en 2011 à signer un contrat permanent. De la même façon, 15% des emplois salariés relèvent de contrats temporaires (dont stages, apprentissage et contrats aidés), soit une proportion deux fois plus forte qu’en 1980 [1].

Cette incapacité à prendre en charge les problématiques de ceux qui se situent entre ces deux situations pose problème à plus d’un titre : des pans entiers du monde du travail deviennent massivement invisibles, inaudibles, mal protégés car en dehors des grilles d’analyse traditionnelles de notre système social.

Malgré cela, depuis des décennies et singulièrement depuis des mois, le débat français se concentre autour de la question précise du contrat de travail. Après avoir généré 37 formes de contrat de travail [2], notre système s’interroge désormais sur l’opportunité du contrat de travail unique, qui serait devenu l’alpha et l’omega d’une réforme à venir du marché du travail.

Changer de paradigme

Pourtant, force est de constater qu’aujourd’hui 83% des embauches se font sous une forme d’emploi dite précaire (hors CDI temps complet) et que les nouveaux CDI signés aujourd’hui durent en moyenne deux ans (quand on estimait auparavant leur durée moyenne à onze ans). Cette réalité rend à l’évidence nécessaire le changement de paradigme. Dans un monde où les mutations s’accélèrent sur le marché du travail, touchant désormais l’ensemble des actifs au cours de leur vie professionnelle, la compétitivité d’une économie ne repose plus tant sur le maintien de personnels qualifiés aux mêmes postes et sous la même forme, mais sur la capacité d’un système à anticiper les évolutions.

Il apparaît donc aujourd’hui essentiel de créer un nouveau pacte social pour créer des protections adaptées aux nouvelles carrières. La peur de l’avenir, pendant d’une période qui semble dénuée de perspectives radieuses, impose de redonner aux individus de la motivation, et surtout de réelles aptitudes à la mobilité professionnelle.

De façon croissante, l’enjeu est – et sera donc – de permettre de faciliter les transitions professionnelles de ceux qui, par choix ou par nécessité, connaissent des parcours moins linéaires qu’auparavant. Pourtant, les règles de protection sociale continuent de protéger principalement les insiders, tandis que les outsiders doivent composer avec une législation et des institutions inadaptées. Pourquoi ne pas imaginer une protection sociale consolidée, plus ample dans son domaine d’application, c’est-à-dire tenant à l’avenir mieux compte des nouvelles formes d’emploi ?

Pour tous, y compris désormais pour les plus insérés, les transitions professionnelles deviennent en effet le cœur de la question du marché du travail. Un récent sondage de la Fondation ITG Travailler autrement détermine d’ailleurs que les salariés français font preuve de lucidité sur le marché du travail : 93 % des cadres estiment que « chacun connaîtra dans sa vie professionnelle plusieurs transitions et reconversions ».

L’enjeu-clé d’une réforme du travail doit donc être le suivant : comment accompagner et sécuriser les personnes pour vivre les transitions professionnelles comme une opportunité, et non plus comme un coup du sort ? Cessons d’ignorer cette évidence : pour être réellement utile, une réforme doit pouvoir être utilisée, c’est-à-dire comprise et intégrée par ceux pour qui elle a été mise en place.

Tout ne reste heureusement pas à construire. Beaucoup de dispositifs existent, mais le sentiment d’insécurité sociale demeure pourtant maximal. Là réside l’enjeu culturel des salariés français : à l’heure actuelle, ils n’ont que très peu recours à ces dispositifs qu’ils estiment trop complexes, partiels… ou éminemment difficiles d’accès.

De fait, les réponses apportées depuis plusieurs années à ces questions de transition semblent achopper sur une réalité : leur accumulation les a paradoxalement privées de lisibilité. Elles ne produisent pas de réelle sécurisation de l’emploi, n’incitent en rien les salariés à les utiliser et « embolisent » les négociations au sein des branches comme des entreprises.

Pour qu’elle retrouve une réelle clarté, la réforme du marché du travail doit s’inscrire dans une logique d’anticipation des évolutions de carrière, de sécurisation des parcours professionnels. Il s’agit désormais de prédire les effets de la mutation du marché de l’emploi, d’avoir un coup d’avance plutôt que de réagir continuellement, à la va-vite et en aval, à ses soubresauts. A cette condition, une nouvelle ère sociale est possible, comme en témoigne le virage pris par certains de nos voisins européens comme la Belgique, qui a entrepris le rapprochement des systèmes sociaux des indépendants et des salariés.

Cette réforme se donnerait donc trois objectifs, chacun lié à l’un des acteurs concernés :

  • Garantir une meilleure sécurisation des parcours des salariés, en gardant à l’esprit les droits attachés à l’individu. Ce système, organisé autour de la portabilité des droits sociaux et de leur parfaite visibilité, permettrait aux travailleurs d’adapter leur trajectoire professionnelle aux mutations du marché de l’emploi, et de caractériser à tout moment le meilleur levier social (formation, indemnisation financière, aide à la création d’une activité) pour évoluer professionnellement. A condition d’être simple d’accès, il inciterait également à la mobilité (en lui conférant une meilleure faculté d’anticipation des conséquences d’une transition).
  • Redonner de l’oxygène aux entreprises et à leurs dirigeants, en faisant en sorte de faire peser le moins possible la « tuyauterie » sur le fonctionnement effectif des sociétés. En lieu et place de la négociation sur les paramètres techniques de mise en place des nouveaux droits sociaux, un dialogue social effectif pourrait être retrouvé, ainsi qu’une souplesse permettant de sortir du triptyque actuel difficultés-restructuration-négociation (qui place les salariés dans une période d’attente stressante.) De la même façon, en concentrant les négociations sur l’employabilité externe et interne des salariés et sur l’anticipation de l’emploi dans le bassin concerné, il permettrait d’éviter les ruptures brutales au sein des services .
  • Rendre aux syndicats leur impact social concret, visible par les salariés, en les sollicitant de manière effective pour articuler l’ensemble. Là encore, la « tuyauterie » juridique pourrait passer au second plan, puisque l’intervention au coeur de l’entreprise porterait sur la négociation sur les outils d’accompagnement des personnes souhaitant évoluer en son sein, voire en transition professionnelle.

L’objectif de cette note est de présenter une réforme structurelle basée sur la portabilité des droits sociaux existants et leur fusion dans un compte global (1), un lieu de convergence des structures d’accompagnement des transitions professionnelles (2), et une méthode de réforme pour aboutir à la convergence des systèmes existants (3).

1. Une réforme bâtie autour de la portabilité : conduire les salariés et les demandeurs d’emploi à être acteurs de leur évolution en conférant une meilleure lisibilité à leurs droits et leurs obligations

La portabilité des droits englobe tous les dispositifs qui visent à attacher à la personne (plutôt qu’au statut qu’elle occupe en un instant t) les droits sociaux auxquels elle a droit.

Les rapports Boissonnat [3] et Supiot [4] ont les premiers soulevé la nécessité d’une approche de ce type. Elle a ensuite été défendue dans tous les rapports suivants : Rapports Morange [5], Quintin [6], Davy [7], et Pisani-Ferry [8]. Pourtant, force est de constater que le système actuel, pour partie inspiré de ces réflexions, ne produit pas les résultats escomptés, et nécessite encore de gagner en cohérence comme en lisibilité.

Ainsi, tandis que les dispositifs successifs avaient été construits pour aider les salariés occupés (en tentant d’anticiper leur évolution professionnelle) et les personnes sans emploi (en élaborant un parcours de retour à l’emploi), les résultats sont pour le moins décevants. De fait, à aucun moment les actifs français ne semblent avoir été préparés à « gérer » leur évolution professionnelle, ce qui les laisse aujourd’hui totalement désemparés.

Lorsque l’on se penche sur les raisons de cet échec, ce n’est donc pas l’absence de dispositifs qui frappe en premier lieu : le travail de conviction des universitaires et experts du marché du travail a incontestablement produit ses effets, et inspiré une succession de réformes. Mais ici comme dans d’autres domaines, l’empilement des mesures, théoriquement susceptibles de répondre à toutes les situations, a abouti à un système trop complexe pour être adopté dans les faits. Face à ce constat d’échec inacceptable, tout semble indiquer que seul un travail de simplification et de
mise en cohérence permettra aux personnes de comprendre les dispositifs, afin de s’en saisir effectivement.

Cette réforme ne peut donc être envisagée comme « une réforme de plus », mais doit au contraire offrir une nouvelle perspective pour l’action, tout en permettant de conjuguer visibilité des droits acquis et portabilité dans le temps au sein d’un marché du travail renouvelé. En d’autres termes, la réforme visera à fournir aux personnes une « boîte à outils » concrète et opérationnelle, qui les aidera à renforcer leurs compétences ou à en acquérir de nouvelles afin d’éviter de se retrouver en dehors du marché du travail, quel que soit leur âge ou leur statut.

Il s’agit évidemment d’une évolution profonde, d’un changement de paradigme impliquant que l’on cesse de penser les droits simplement en termes de stocks, mais bel et bien d’opportunités favorisant les transitions professionnelles auxquelles tout un chacun sera fatalement confronté au cours de sa vie professionnelle.

a. Un système simplifié et orienté vers la dynamique d’emploi

L’empilement des comptes/droits attachés aux salariés, faute de lisibilité, a ainsi empêché leur appropriation pour l’action. Même si, dans l’esprit des partenaires sociaux et du législateur, les droits créés avaient pour vocation de faire gagner les actifs en autonomie, la réalité du terrain est toute autre. L’échec du Droit individuel à la formation (DIF) illustre bien ce fait. De la même façon, les salariés ou demandeurs d’emploi peinent à percevoir les comptes créés depuis 20 ans [9] comme des outils de transition professionnelle, mais au contraire comme un simple « capital
» irrémédiablement lié à leur présence au sein d’une entreprise.

Cette accumulation de mesures disparates, sans mise en cohérence globale, a privé le système de lisibilité : la réforme consisterait donc à intégrer dans un système unique, rattaché directement au salarié, l’ensemble de ses droits et de ses comptes, avec pour seul objectif le renforcement de la maîtrise de son évolution professionnelle.

Cette proposition a déjà été formulée sous différentes appellations :

  • « Assurance professionnelle » matérialisée dans un « compte social de droits portables tout au long de la carrière» (rapport Morange)
  • « Compte individuel social de droits portables » proposé le 6 juillet 2011 par le Centre d’analyse stratégique (rapport Quintin)
  • « Compte social universel » (rapport Davy)
  • Les différentes propositions des partenaires sociaux : de la sécurité sociale professionnelle de la CGT au statut du travailleur de la CFTC.

Cette solution, ayant pourtant reçu un accueil plutôt positif sur un large spectre des acteurs du marché du travail, n’a
encore jamais été portée politiquement.

b. Pour une véritable lisibilité des droits en vue de les utiliser pleinement au cours de sa carrière professionnelle

Chacun des comptes évoqués a été conçu par les partenaires sociaux et le législateur afin d’apporter de nouveaux avantages, parmi lesquels une meilleure formation, une prise en charge de la pénibilité ou une meilleure répartition des temps au long de la carrière. Or ces droits ne doivent plus être considérés comme pourvoyeurs de « simples » avantages, mais comme de réelles opportunités d’action et de mobilisation des compétences des actifs dans le cadre de leur carrière professionnelle.

L’objectif de la réforme vise ainsi à la fusion des différents dispositifs au sein d’un compte unique (Annexe : les divergences de régime des différents comptes). Du fait des différences observées entre ces droits, l’étendue du périmètre de la fusion doit se baser sur une étude de faisabilité nouvelle qui devra déterminer entre autres :

  • le périmètre des droits et des personnes concernés,
  • la nature des transitions à sécuriser,
  • les relations entre les organismes tiers et la gestion de ces droits,
  • l’abondement des droits dans le futur compte,
  • la mesure de comptabilisations des droits (le temps, l’argent, un autre indicateur ?),
  • la fiscalité applicable aux actifs du compte,
  • les modalités d’utilisation des droits,
  • et les systèmes techniques qui les portent.

Toutes ces questions se conjuguent aux difficultés traditionnellement éprouvées pour évoluer d’un statut vers un autre : de celui de salarié à celui d’indépendant, du privé à celui de la fonction publique et inversement.

Les complexités inhérentes au rapprochement de dispositifs divergents doivent inciter à laisser la loi édicter de grands principes, le législateur devant néanmoins déléguer aux partenaires sociaux le soin de fixer les modalités précises du fonctionnement du compte rassemblant les droits sociaux des salariés.

c. Inciter les personnes à piloter leur trajectoire professionnelle

Dotées d’un « compte unique », les personnes bénéficieraient ainsi de meilleures visibilité et lisibilité pour piloter leur propre avenir. L’appropriation de ce compte unique deviendrait la clé de voûte d’un système social reposant sur deux piliers : l’accompagnement tout au long de la vie et des formations longues et qualifiantes (sur lesquelles la France accuse un retard certain notamment par rapport à l’Allemagne). A l’heure actuelle, force est de constater a contrario que la proportion d’adultes ayant pris part à la formation professionnelle en France entre 2006 et 2011 a… diminué. Contre toute logique, elle ne concerne même que 5% des chômeurs et moins de 3% des moins diplômés.

Selon cette focale, la démarche du Compte Personnel de Formation issu de la loi de sécurisation de juin 2013 va dans le bon sens : les salariés ont la capacité de se former tout au long de la vie grâce à un CPF lié non plus à leur statut mais à leur personne. Pour autant, l’expérience du DIF et l’absence d’incitation dynamique questionnent d’ores et déjà son efficacité future.

Issu de la même loi, le Conseil en Évolution Professionnelle (CEP) – qui verra le jour début 2015 – sera accessible à tout actif, quel que soit son statut. Informé par son employeur, le salarié pourra gratuitement solliciter ce conseil pour identifier ses compétences et celles requises pour un poste. Ce CEP devrait être renforcé pour que les salariés puissent se l’approprier. Bien mené, il constituera un point d’entrée décisif pour l’incitation.

Le renforcement de ces mécanismes devrait permettre une meilleure fluidité des transitions professionnelles. Pourtant, il n’aura pas d’impact profond sans anticipation des évolutions du marché du travail. Il semble donc nécessaire de créer un poste d’observation et d’action pour optimiser tous les outils existants.

2. Une réforme qui doit permettre l’anticipation de l’évolution du marché du travail et faire converger les solutions de transition professionnelle

De la première étape constituée par la création d’un compte rassemblant les droits sociaux doit en découler une deuxième : créer la structure permettant d’anticiper les besoins en transition professionnelle. Cette structure, complément nécessaire sur le plan social de l’anticipation en matière de filières économiques (notamment par le biais du Conseil National de l’Industrie), doit être envisagée comme le lieu d’impulsion de réponses adaptées aux évolutions économiques.

a. Un lieu pour anticiper les conséquences humaines et sociales des mutations économiques

Il ne s’agira aucunement de créer une structure supplémentaire, un « machin » exclusivement dévoué à la justification de son existence comme de ses moyens, coûteux pour les finances publiques sans réelle valeur ajoutée. Bien au contraire, ce lieu de convergence devra prioritairement émaner de structures existantes, labellisées comme telles.

  • Il appréhenderait les conséquences sociales des filières en difficulté

Ce lieu devra pouvoir analyser les conséquences sociales de l’évolution des filières et des technologies, la convergence des structures apportant une réelle capacité de prospective. Il pourra donc proposer à intervalles réguliers des plans d’accompagnement des salariés de ces filières, bien en amont de leur réduction voire parfois de leur disparition. Par une approche transversale, il pourra également identifier les secteurs n’étant pas suffisamment pourvus en compétences et les passerelles de reconversion potentielles.

  • Il anticiperait les besoins des salariés dans les filières

Le rôle d’une telle plate-forme sera de pouvoir analyser et surtout anticiper les conséquences sociales de l’évolution des filières.

L’analyse doit ici croiser l’impact :
– des mutations technologiques, habitudes de consommation, qui conduisent logiquement à des évolutions dans les outils de production ou dans la fourniture de services.
– des dynamiques territoriales. La structure des emplois évolue en effet rapidement au sein des territoires, le bassin d’emploi étant désormais considéré comme l’échelon d’analyse des dynamiques d’emploi le plus pertinent. Depuis la loi de décentralisation de 2013, la Région s’est ainsi vue reconnaître officiellement un rôle central dans la coordination des politiques de l’emploi, notamment en matière de formation.

De façon pratique, cette plate-forme pourra ainsi se nourrir des synthèses de travaux déjà réalisés par Pôle emploi et le Crédoc (l’enquête annuelle BMO, Besoins de main-d’oeuvre), qui développent aujourd’hui des analyses locales fines (à travers des « météo de l’emploi » régionales). De même, l’analyse pourra être renforcée par les réflexions croisées des observatoires de branches, des grands employeurs et donneurs d’ordre locaux (grandes entreprises, agences d’intérim, etc.), des chambres de commerce et d’industrie, etc.

Ainsi, ce lieu de convergence devra régulièrement proposer des plans d’accompagnement des salariés de filières en mutation, analysées territoire par territoire. Par cette approche transversale, les secteurs n’étant pas suffisamment pourvus en compétences seraient identifiés et des passerelles de reconversion mises en place.

  • Il regrouperait et rationaliserait les outils de transition existants

L’objectif de cette plate-forme sera également de refonder les outils existants dans l’accompagnement des transitions professionnelles. Portés par des structures aux intérêts divergents, ils semblent en effet, à l’heure actuelle, trop dispersés et inefficients.

La convergence permettait d’identifier les conséquences sociales des filières en difficulté et de proposer aux salariés des pistes concrètes de reconversion. A Pôle Emploi d’accompagner en aval les salariés qui n’auront pas pu bénéficier de cette reconversion et de les indemniser en l’attente d’un retour à l’activité. La tâche de l’agence devrait également s’articuler avec les autres structures existantes (par exemple les FONGECIF, le FPSPP, l’APEC, etc…).

b. Un lieu pour donner envie aux salariés de se reconvertir

Après avoir identifié les besoins des salariés dans les filières identifiées, la mission de convergence aura pour objectif d’inciter les salariés à s’emparer des solutions de transition. Elle pourra s’appuyer sur plusieurs leviers en faisant évoluer l’offre globale de formation professionnelle.

La mise en convergence de plusieurs structures devrait permettre la refonte des contenus et des organismes pour tendre vers davantage de formations longues et qualifiantes. L’offre aujourd’hui trop dispersée doit céder la place à des typologies de formation adaptées aux nouveaux besoins d’emploi des filières et des territoires. Des recommandations, ayant un impact juridique sur l’aspect financier des formations, devront être adressées aux organismes de formation – afin d’intensifier ou de qualifier leur offre dans un domaine précis – et surtout aux salariés, pour les inciter à se tourner vers des formations utiles (cf. 1. sur le compte rassemblant les droits sociaux).

3. Une méthode : permettre la convergence des systèmes pour une réforme équilibrée

La réforme doit adopter une méthode et une communication qui permettront de sortir de l’opposition « aspiration individuelle » versus « relations collectives de travail ». Il nous apparaît tout à fait envisageable, et même éminemment souhaitable, de cesser d’opposer ces deux tendances, pour nous orienter au contraire vers un compte social individuel appuyé sur des garanties collectives.

Pour ce faire, elle doit répondre à trois principes :

  • Utiliser les nouvelles technologies pour lever les blocages,
  • impliquer les acteurs et s’inspirer des convergences réussies,
  • expérimenter pour analyser l’impact.

a. Une réforme utilisant le levier numérique pour faire converger les données

Un compte rassemblant les droits sociaux de chaque salarié renforcera la transparence et la lisibilité de sa situation sociale, au moyen d’une application installée sur l’ordinateur/la tablette/le téléphone mobile. Comme pour son compte en banque, le salarié-utilisateur disposerait ainsi d’un tableau de bord efficace de ses droits. La constitution d’un compte dématérialisé, accessible en ligne, regroupant l’ensemble de ces informations, ferait intervenir de nombreux acteurs : l’entreprise, Pôle emploi, les organismes agissant dans le champ de l’orientation, de la formation
ou réalisant des bilans de compétence.

En exploitant les nouvelles technologies, la réforme pourrait se matérialiser par la création d’une interface simple, une « arête centrale » sur laquelle chaque administration pourrait « brancher » ses informations (solution préférable à la création de nouveaux outils), et ainsi construire les lignes du compte unique de chaque salarié. Elle éviterait de casser les systèmes existants pour chaque compte en vigueur.

L’abondement serait réalisé par tous ceux détenant des informations ouvrant des droits, qui résultent :

  • du contenu du contrat de travail (droits attachés à la convention collective dont relève le salarié ou dispositions spécifiques prévues dans un accord d’entreprise ou son contrat de travail) ou du statut de demandeur d’emploi ;
  • de la réglementation en matière de formation professionnelle : conditions de bénéfice du CPF ;
  • de la réglementation en matière d’orientation professionnelle et de bilan de compétences ;
  • des dispositions relatives à l’épargne salariale ;
  • des dispositions relatives à la prévoyance complémentaire ;
  • de l’existence d’un compte épargne-temps.

Seul le titulaire du compte aurait accès à l’ensemble des informations et pourrait ou non autoriser leur consultation par un tiers.

L’objet de la négociation sociale consisterait dès lors en la définition de la liste des informations devant figurer sur le compte, de l’élaboration des règles de transfert, de détention et de gestion des données ainsi que du choix du ou des gestionnaire(s) du compte. Le précédent du Dossier Médical Personnel, comme l’analyse de ses difficultés de mise en oeuvre, pourront faciliter les travaux, certaines questions juridiques et techniques ayant déjà été résolues. La collecte finale des données et l’abondement de cet outil pourrait revenir à l’AGIRC et/ou à l’ARRCO, ou encore à la
mission ETALAB qui a d’ores et déjà pour objectif la collecte des données des administrations publiques.

b. Une réforme qui implique et s’inspire des convergences réussies

Cette réforme ayant des impacts sur l’ensemble des organismes collecteurs de ces droits sociaux, chacun d’entre eux doit y être associé, au moyen d’ambassadeurs désignés en leur sein. Un rapprochement qui pourrait s’inspirer de celui opéré dans le cadre du GIP Info retraite.

De la même façon, la fusion envisagée par la réforme proposée dans la présente note pourrait se faire sur la base du Compte personnel de formation (CPF), qui est actuellement en cours d’installation par la Caisse des dépôts et consignations, et auquel pourrait être rapprochés les autres comptes personnels sur un même support numérique.

c. Une réforme progressive grâce à l’expérimentation

La mise en place d’un marché du travail structuré autour des travailleurs et de ce nouveau compte pourrait provoquer différentes réactions au sein des entreprises. D’où l’intérêt d’une expérimentation de ce système en amont, démarche qui permettrait d’éviter :

  • toute instrumentalisation du compte par les employeurs ;
  • la crainte des PME de voir « débarquer » au sein de leur masse salariale des salariés « augmentés », dotés de ce nouvel outil utilisable à tout moment ;
  • l’écueil culturel qui freine en France la mise en place de systèmes fonctionnels, à la différence de certains de ses voisins européens, tels l’Autriche ou de la Belgique.

Cette expérimentation pourrait par exemple cibler quelques filières et zones géographiques précises, touchées par d’importantes mutations économiques et une multitude de transitions professionnelles. Les retours d’expérience et les diagnostics tirés de ces « tests » permettant ensuite de moduler à la marge la forme générale du dispositif, pour l’appliquer ensuite à plus grande échelle.

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1 – Charles de Froment, « Flexibilité responsable. Dépasser le dualisme du marché du travail », Institut de l’entreprise, décembre 2011.

2 – Etude Fondation Travailler Autrement, novembre 2013

3 – « Dans ce nouveau cadre juridique serait créé le contrat d’activité. Englobant le contrat de travail sans le faire disparaître, il vise, en s’inspirant d’expériences déjà à l’oeuvre, à faciliter les projets individuels et la souplesse de l’organisation productive ; contrat individuel adapté à la diversité et aux rythmes des itinéraires professionnels, il garantit la continuité des droits et obligations et peut impliquer une pluralité d’acteurs. Le contrat d’activité a pour vocation «d’absorber» une partie des multiples dispositifs et des actuels mécanismes de financement de l’insertion, de la formation
professionnelle, du chômage. » in Le travail dans 20 ans, rapport du groupe présidé par Jean Boissonnat, Commissariat général du Plan, Odile Jacob, 1995.

4 – Au-delà de l’emploi. Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe, pour la Commission européenne, Flammarion, 1999.

5 – « les partenaires sociaux et le législateur ont apporté une réponse originale : la portabilité de certains droits. Le mécanisme de portabilité des droits permet à un salarié de conserver et d’utiliser un droit après la rupture de son contrat de travail. Il a occupé une place centrale dans les travaux de la mission d’information, qui a recherché les moyens effectifs de dépasser la logique des statuts de travail, pour intégrer une logique de parcours professionnels. » in Rapport d’information déposé par la Commission des afaires sociales, Assemblée Nationale, 28 avril 2010.

6 – « Pour donner plus de cohésion au développement de la portabilité des droits, il est parfois proposé la création d’un nouvel outil de sécurisation des trajectoires professionnelles : le « compte individuel » ou « compte social ». Cet outil serait un compte individuel de droits portables. Tous les salariés disposeraient d’un compte social, qu’ils conserveraient tout au long de leur carrière et qui retracerait les droits acquis (comme en matière de droits à la retraite). Il s’agit donc bien d’un outil d’appui aux trajectoires professionnelles, dans une logique à la fois de promotion sociale et
d’employabilité individuelle. Il pourrait être mobilisé pour financer des actions de formation mais aussi des compléments de revenu pendant des périodes d’inactivité, un passage à temps partiel (après un congé maternité ou pour les seniors avant la retraite par exemple) ou des actions d’accompagnement à la mobilité professionnelle. » in Le travail et l’emploi dans vingt ans, Centre d’analyse stratégique, juillet 2011.

7 – « Aujourd’hui, la mobilité, entendue au sens professionnel davantage que géographique, repose sur la portabilité des droits, qui permet à un salarié de les conserver lors du départ d’une entreprise, et sur la transférabilité, qui ouvre la possibilité de les utiliser dans des emplois ultérieurs. Telles sont les deux conditions-clefs d’une conception positive des transitions professionnelles. » in Sécuriser les parcours professionnels par la création d’un compte social universel, François Davy, rapport remis au Ministre du travail, de l’emploi et de la santé, avril 2012.

8 – « Organiser la portabilité des droits sociaux à travers un compte personnel d’activité. Associé à un accompagnement des personnes, un tel compte serait ouvert pour chaque individu dès son entrée sur le marché du travail. Il permettrait de doter chacun des ressources nécessaires pour sécuriser les transitions professionnelles et de promouvoir les trajectoires ascendantes. Le compte devrait s’étendre progressivement à l’ensemble des droits attachés à la participation sur le marché du travail (retraite, formation, pénibilité, mais aussi potentiellement compte épargne-temps, chômage, voire épargne salariale). Au-delà des dispositifs déjà prévus (compte personnel de prévention de la pénibilité et compte personnel de formation), une négociation déterminerait le périmètre du compte et les modalités de mobilisation des droits acquis. Afin d’éviter que cette personnalisation des droits soit source d’inégalité, un encadrement et un accompagnement de qualité en particulier pour les individus les plus vulnérables devront être mis en place. » In Quelle France dans dix ans? Les chantiers de la décennie, France Stratégie, juin 2014.

9 – Compte épargne temps (issu de la loi du 25 juillet 1994), portabilité des droits en matière de prévoyance (issu à la base de l’ANI du 11 janvier 2008 puis de la loi du 14 juin 2013), compte personnel de formation (issu de la loi du 5 mars 2014), compte personnel de prévention de la pénibilité (issu de la loi du 20 janvier 2014)…