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Le « bore-out », nouveau spleen ?

« Tuer ce monstre le temps, n’est-ce pas l’occupation la plus ordinaire et la plus légitime de chacun? » [Le spleen de Paris, le galant tireur 1869]. Baudelaire a fait de l’ennui, son ennemi : il en découle un sentiment, un mouvement : le spleen.

Alors que le burn-out, épuisement professionnel lié à une surcharge de travail prend timidement la voie d’une reconnaissance comme maladie professionnelle, à l’inverse le bore-out, qui renvoie à l’idée d’ennui, reste encore tabou. En janvier 2016, Christian Bourion, docteur en sciences économiques et spécialiste de la gestion du travail, a publié  « Le bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou ».

Un sujet qui dérange

C’est Peter Werder et Philippe Rothlin qui conceptualisent en 2007 le phénomène appelé « bore-out » en miroir au terme de burn-out. Surcharge de travail d’un côté l’ennui profond de l’autre, ces deux états semblent opposés. Néanmoins, ils aboutissent à des conséquences similaires : de la souffrance à la dépression. Mais le bore-out, en période d’explosion des chiffres du chômage, est un sujet qui dérange.
De son ennui au travail, comme fonctionnaire, Zoé Shepard (pseudonyme) en a tiré un pamphlet Absolument dé-bor-dée. Son identité dévoilée au grand public, la fonctionnaire se voit infligée une exclusion de quatre mois ferme et six avec sursis. En parcourant les témoignages sur les bore-out, qui se sont multipliés dans les médias quand la presse s’est emparée du sujet, on réalise vite qu’une des causes récurrentes du bore-out est l’organisation du travail. Dans le cas de Zoé, c’est la lourdeur des procédures administratives, de la hiérarchie trop segmentée qui rallonge les prises de décision, et les journées, à attendre…
Lundi 2 mai 2016, un ancien responsable des services généraux, Frédéric Desnard, a décidé de porter son cas devant les juges. Le conseil de prud’hommes de Paris sera donc amené à traiter le premier procès de bore-out.

Difficile à cerner et à quantifier

On assiste aujourd’hui à un accroissement des écrits qui appuient la thèse du bore-out : l’étude AOL et salary.com de 2005, l’étude mondiale Steptone de 2009, celle lancée par Christian Bourion et Stéphane Trebucq en 2011..
Depuis 2011, Christian Bourion s’est pleinement investi dans la thématique. Il en découle un livre, sorti en janvier 2016 : Le bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou.  Il définit  le syndrome comme un « ensemble de souffrances détruisant la personnalité des salariés inactifs ». Dans une interview pour Psychologies, l’auteur explique que selon lui « la parole commence à se libérer sur le sujet » : le bore-out constituant une souffrance pour de plus en plus personnes : il parle de 30% de la population française.

Cette parution a eu un large écho dans les médias. Mais deux professeurs de gestion, Emmanuel Abord de Chatillon et Céline Desmarais, dans un article publié dans Le Temps questionnent l’ampleur attribuée au phénomène. L’auteur considère que 30% des salariés français touchés par le bore-out et 10% par le burn-out. A leurs sens, l’étude réalisée par le cabinet de recrutement belge (Stepstone), sur laquelle s’appuie Bourion, serait biaisée. Les répondants seraient des chercheurs d’emploi. Ils relativisent ainsi l’extension du phénomène attribuée à l’ensemble de la population qui travaille. A cette étude, ils opposent une qu’ils qualifient de sérieuse réalisée par Britton et Shipley en 2010 sur un échantillon de 7500 salariés du public britannique : seulement 2% s’ennuient au point d’en affecter leur santé. Une deuxième idée est critiquée  : la piste que le travail viendrait à manquer. L’INSEE et la DARES, à travers leurs séries sur les conditions de travail démontrent une intensification du travail.

Ce débat s’inscrit dans une période où les étiquetages pour critiquer le travail fleurissent : burn-out, bore-out ou bullshit job (jobs à la con), comme un effet de mode. Néanmoins, souvent confondus et fondus l’un dans l’autre, le bore-out et les bullshit jobs renvoient à des finalités différentes : un ennui profond pour le premier tandis que le second plutôt une perte de sens du travail.

> Poursuivez avec l’article  Comprendre le phénomène des « bullshit jobs »   (paru sur le site de la Fondation) 

>A lire  : L’article « Bore-out » : comment retrouver l’envie face à l’ennui au travail ? (paru sur itg.fr)

> A consulter : L’article Burn-out et souffrance au travail : Marisol Touraine veut un groupe d’experts (paru sur le site de la Fondation)