Travail 4.0 : l’emploi à l’épreuve du numérique
Avec la révolution numérique qui s’exerce actuellement, la transformation est globale : culturelle et sociétale, économique et sociale. Pour parler de ces enjeux, l’Institut G9+ a organisé sa rencontre annuelle sur le thème : « Travail 4.0 ou la révolution numérique de l’emploi ». Compte-rendu.
Bruno Dumont, responsable des rencontres annuelles du G9+, a introduit cette conférence en indiquant que la révolution numérique de l’emploi est un sujet d’actualité car c’est l’un des facteurs les plus impactants sur le sujet du travail. Il s’agit d’un changement rapide, profond, économique et sociétal, dont il faut analyser les facteurs et observer comment les entreprises trouvent des solutions pour s’adapter.
Yves Caseau, Directeur groupe digital d’Axa, a ensuite rappelé que, selon le rapport Frey et Osborne, 47% des emplois vont être menacés par les nouvelles technologies. Cependant, des contre-études ont modéré leur propos. Selon lui, on ne sait ni combien d’emplois les nouvelles technologies détruiront, ni quand… Ce qui est sûr, c’est qu’il y a déjà des domaines où des robots font mieux que l’homme, surtout dans les métiers d’expertise (de la radiologie auxmétiers du droit).
Il explique que c’est une transformation du paysage de l’emploi qui est à l’œuvre :
- L’activité production est déjà dominée par les robots ;
- Les activités de transaction sont effectuées par des intelligences artificielles (IA) ;
- Il reste à l’humain les activités d’interaction, le secteur quaternaire, qui va de plus en plus se développer ;
- Il y aura de plus en plus de freelances ;
- Il y aura une nouvelle organisation de l’entreprise lié à un nouveau mode de vie plus « aspirationnel ».
Les grandes tendances d’aujourd’hui qui font évoluer la nature du travail
La première table ronde a permis de questionner les intervenants sur les grandes tendances d’aujourd’hui qui font évoluer la nature du travail.
Nadia Robinet, fondatrice et directrice associée chez YeWeCoach, qui animait cette table ronde, a rappelé que face à une déferlante technologique, des emplois vont disparaitre mais des métiers vont aussi être créés.
Selon elle, l’entreprise change, « Elle n’est ni une autre, ni tout à fait la même » :
- Il y a un nouveau rapport au lieu de travail et à la mobilité ;
- L’hyperconnexion crée une forte porosité entre vie privée et vie professionnelle ;
- Les générations X, Y et Z cohabitent au sein de l’entreprise ;
- La valeur relationnelle de l’empathie, du sens, de la fierté, de l’émotion positive devient une préoccupation majeure, mais les risques psychosociaux sont de plus en plus présents.
Pour Patrick Nicolet, Directeur général adjoint du groupe Capgemini, les grandes tendances du numérique qui font évoluer le travail sont :
- L’automatisation des interactions;
- L’omniprésence du monitoring ;
- L’avènement du « faire » (les processus, le service) par l’outil numérique ;
- L’analytique devient de plus en plus centrale et est effectuée par les IA ;
- La mémoire est maintenant numérique.
Clémentine Darmon, Directrice de mission chez Entreprise & Personnel, montre que pour elle, il y a trois grandes tendances issues des vagues de technologie :
- Une polarisation entre certaines activités définies comme extrêmement qualifiées (données, conception, design, R&D…) et d’autres peu qualifiées (métiers de proximité : vendeur, SAV, ceux qui manipulent de la matière, livreurs, transporteurs, le « care »…), mais quid de la classe moyenne ?
- Une dualisation du marché du travail émerge de la floraison de nouvelles formes d’emploi atypiques par rapport au CDI, même si ces nouvelles formes d’emplois ne sont pas nouvelles (le journalier n’est-il pas l’ancêtre du freelance ?). Ici, ce qui est intéressant est que ces formes d’emploi cohabitent dans l’entreprise et dans le process de production (employés, prestataires, freelances…) ;
- Le territoire et le lieu de travail changent de nature : coworking, télétravail, flexoffice…
Pour Emmanuel Amiot, Partner chez Olivier Wyman, il y a quatre tendances qui se dessinent :
- Dans un monde de robots, il faut redoubler d’attention vis-à-vis de l’humain. L’employé va devoir être traité de plus en plus comme un client. L’entreprise a besoin d’un « marketing employeur » plus fort pour attirer et fidéliser ses collaborateurs;
- Il y a une forte attente en termes de développement personnel et d’employabilité : 2/3 des millenials considèrent que la capacité de l’entreprise à leur proposer un développement personnel est une des raisons pour les fidéliser et les attirer ;
- La grande majorité des entreprises veut passer en mode « agile »;
- La demande de services et de métiers de proximité est infinie.
Comment les entreprises s’adaptent à la mutation du travail
Une fois ces diagnostics établis, la deuxième table ronde a permis de comprendre, à travers plusieurs témoignages, comment les entreprises s’adaptent à la mutation du travail.
Marie-Béatrice Duval, DRH Adjoint Banque de détail en France à la Société Générale, a expliqué que dans cette banque, la digitalisation a donné lieu à un bouleversement du business model et paradoxalement, s’il y a moins de clients dans les agences, les agents n’ont jamais autant eu l’opportunité d’avoir du contact avec leurs clients.
Concernant l’agilité, dont parlait Emmanuel Amiot, la Société Générale fait partie de ces entreprises traditionnellement très hiérarchiques. Marie-Béatrice Duval observe la nécessité impérieuse de renouveler le style de management, le business modèle à besoin d’une révolution. La banque a déjà tenté deux expériences : un accompagnement des équipes de managers, un Hackathon sur l’innovation managériale.
Alain Roumilhac, Président de ManpowerGroup France, observe quant à lui, que les agences d’intérim se transforment par l’open innovation et sont les témoins de ce qui se passe sur le marché du travail :
- Sur l’augmentation de la demande de flexibilité : beaucoup de client remettent en question leurs business model et se rendent compte qu’ils vont devoir être flexibles car ils vont devoir changer ;
- Sur la question du recrutement : aujourd’hui, Manpower couple formation et recrutement pour bâtir les compétences dont les entreprises ont besoin ;
- Sur la question des compétences : il y a un fort besoin de gestion prévisionnelle des compétences dans les entreprises.
Pour Sergine Dupuy, Fondatrice de RedPill Beeboss, l’enjeu des emplois et des compétences dans les entreprises ubérisées est important : il s’agit de mettre des gens au travail, de leur permettre de se constituer un revenu ou un complément de revenu. Les plateformes peuvent être un énorme levier d’opportunité, selon elle. Sergine Dupuy est :
- Favorable à l’idée que tous les Français puissent être auto-entrepreneurs ;
- Favorable à l’idée de garantir une qualité de service irréprochable sur les plateformes, mais cela mène à la menace de la requalification car avoir cette exigence peut être considéré comme se comporter en tant que possible employeur.
Fanny Médina, Déléguée Nationale au digital à la CFE-CGC, constate quant à elle qu’il y a beaucoup d’entreprises qui mutent vers le numérique et qu’il est important pour les syndicats d’anticiper ces mouvements. Dans ce contexte, la CFE-CGC essaie de mettre en place une légitimité pour les nouveaux travailleurs et la France a besoin de légiférer pour permettre aux nouveaux travailleurs d’avoir une protection sociale qu’ils n’ont pas la possibilité d’avoir aujourd’hui.
Pour conclure, Jean-Marc Daniel, professeur d’économie à l’ESCP Europe, rappelle qu’on ne sait ni combien ni quels emplois vont être détruits par la révolution numérique. Il constate que nous allons vers une société d’auto-entrepreneurs qui repose sur l’introduction de la concurrence, donc les jeunes auront plus de clients que d’employeurs. Cette concurrence correspond aux attentes de la population.
Les entreprises doivent revoir leur organisation en fonction de modèles d’affaire en mutation. Cette rencontre fera l’objet d’un livre blanc qui sera publié très prochainement.
> Pour en savoir plus, le site de l’Institut G9+
> À lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement :
Rapport : « Technology, jobs, and the future of work » (McKinsey Global Institute)