Industrie 4.0, une utopie ?
Pour cette nouvelle édition des Conférences de l’Opinion, le journal a donné la parole aux acteurs de l’industrie 4.0. L’événement a permis de mettre en lumière l’ensemble des enjeux de l’industrie du futur, en tirant les leçons des premiers retours d’expérience des dirigeants d’entreprises ayant entamé leur transformation, et notamment celle des ressources humaines. Compte rendu de la table ronde Ressources humaines induites par la nouvelle économie : quelles adaptations inévitables de la recherche, de la formation et du marché du travail ?
Tout d’abord interrogé sur les liens et les interconnexions qui peuvent exister dans le couple franco-allemand en termes d’innovations industrielles, Hadrien Szigeti, Directeur du développement stratégique de Dassault Systèmes, a introduit la table ronde en soulignant qu’il faut avant tout saisir les challenges communs entre les deux pays, en ayant en tête les différences fondamentales existantes. Citant les résultats du projet Manuskill, il montre qu’il existe une opportunité commune, celle de la démographie : 600 000 emplois en Europe ne sont pas pourvus par manque de compétences et une grande partie des actifs de plus de 55 ans travaillant encore dans l’industrie vont partir à la retraite. Il va donc y avoir un renouvellement des ressources humaines industrielles. Ainsi, il est, selon lui, capital de rendre attractifs les métiers de l’industrie. Or, l’industrie souffre d’une image souvent négative. La société a des difficultés à imaginer ce que va devenir l’industrie dans le futur. Cela a une répercussion dans les entreprises car le renouvellement des compétences et l’évolution des carrières sont souvent mises de côté. Malgré tout, l’industrie a beaucoup évolué. Il faut désormais créer des passerelles (géographiques, métiers, fonctionnelles…) qui permettent de faire évoluer les individus et de faire rentrer de nouveaux talents dans les entreprises.
Raphaël Masquelier, Directeur marketting industrie chez Festo, rebondit en citant l’exemple Allemand. En effet, les industries allemandes ont été confrontées à ces mêmes difficultés RH. Pour répondre aux problématiques, Festo, comme autres industries allemandes, a adapté sa stratégie industrielle. Plusieurs lignes de productions ont été automatisées sous le mode du Proof of Concept (poc). Ils ont ainsi amené doucement leurs opérateurs à comprendre la démarche de changement dans l’industrie. Un référentiel de compétences a également été revu, ce qui a permis de faire un état des lieux pour faire « grandir en compétences » les opérateurs. Ainsi, Festo a créé, dans ses usines, des Learning factories. Grâce à des travaux pratiques, les opérateurs se forment en quelques heures sur des sujets spécifiques.
Thierry Weil, Délégué général de la Fabrique de l’Industrie, a souhaité revenir sur le contraste franco-allemand. L’Allemagne et la France se différencient par un élément fondamental : la valorisation des parcours professionnels. Pour les Allemands, les individus ne sont pas voués à être enfermés dans un poste durant toute leur vie professionnelle. C’est une idée reçue qui persiste en France.
Raphaël Masquelier approuve ce constat en démontrant d’une part, qu’en Allemagne, l’alternance est intégrée depuis longtemps. La France a un peu de retard sur cette question. Et d’autre part, qu’outre Rhin, il y a un phénomène de forte responsabilisation du salarié pour qu’ils entreprennent eux-mêmes leur avenir.
Sylvie Moulet, Directrice du programme R&D Commerce et Services d’EDF-R&D, est revenue sur la notion de formation. Elle pense que la France doit faire passer les lycées professionnels dans l’ère du 3.0. Dans un même temps, elle ajoute qu’il faut s’intéresser aux compétences dans l’industrie. Les fonctions de techniciens, telles qu’elles existent aujourd’hui, seront de plus en plus assurées par les robots, l’iA… Ce qui permettra de concentrer les savoir-faire vers des fonctions à plus forte valeurs ajoutées, ce qui aura un impact positif sur les individus et sur l’entreprise. L’exemple d’EDF est intéressant : l’entreprise a mis en place depuis longtemps des « écoles de métiers » qui permettent de faire monter en compétence les individus et de mixer les métiers. Toutes les strates de l’entreprise sont amenées à s’y rencontrer, ce qui permet de briser les silos et de créer des passerelles.
Enfin, Jean Sreng, Directeur industrie du futur au CEA, a également échangé un certain nombre de bonne pratique en faveur du développement de l’innovation industrielle. Le CEA aide les industries françaises à se mettre à la page. L’idée est d’infuser les technologies dans les organisations afin de servir les besoins du secteur industriel. Les nouveaux besoins et les nouveaux marchés imposent une nouvelle méthodologie. Le CEA a donc choisi de :
- Mêler « innovation » et « industrie »,
- Répondre à des objectifs pragmatiques,
- Travailler directement avec les acteurs « métiers »,
- Se fixer des temps inférieurs à l’année.
Le Factory lab est né de cette méthodologie. Il s’agit d’un nouveau mécanisme d’innovation pour faire se rencontrer les métiers et faire ressortir des Proof of Concepts utilisables directement par l’industrie.
Hadrien Szigeti a réagi à cette présentation en ajoutant que l’un des enjeux essentiels de cette transformation est surtout de donner envie et de rassurer. Ceci est particulièrement vrai pour les middle managers qui peuvent avoir la sensation de perdre du contrôle et qui devront réorganiser leurs postes.
Évolution ou révolution, le secteur industriel doit se poser ces questions et s’inspirer des bonnes pratiques existantes afin de construire l’ « industrie 4.0 » qui permettra d’allier performance, innovation technologie et amélioration des compétences.
> Pour en savoir plus sur l’événement
> Également à lire sur le site de la Fondation Travailler autrement, Accompagner les actifs dans les mutations numériques du travail