3 questions à… Bertrand Dalle, directeur général de Conseil & Recherche
Bertrand Dalle est directeur général de Conseil & Recherche, première agence de recherche qui accompagne les transformations des entreprises. Sur les domaines de l’organisation, du management, des ressources humaines et des mutations du travail, Conseil & Recherche accompagne et met en communication des savoirs scientifiques avec les besoins opérationnels des entreprises. Expert de l’entreprise libérée, Bertrand Dalle a accepté de répondre aux questions de la Fondation. Interview.
Quels sont les grands principes d’une entreprise libérée ?
L’entreprise libérée part d’une idée très simple dans sa définition : c’est une entreprise dans laquelle chaque collaborateur est libre d’entreprendre ce qu’il pense bon pour atteindre les objectifs de son entreprise. Cela revient à dire que le travailleur défini lui même son travail et son organisation, dans un nouvel système de management basé sur la confiance et non plus sur le contrôle et la prescription. Isaac Getz, chercheur en Sciences humaines, a démocratisé cette notion d’entreprises libérées. Il aime aussi dire que ce sont des entreprises qui travaillent à la suppression des règles qu’elles avaient alors édictées pour cadrer les 3% des personnes malintentionnées …avec pour conséquence heureuse de libérer l’énergie des 97% autres !
Quels sont les changements concrets pour l’organisation du travail ?
Dans la pratique, le système managérial de l’entreprise libérée va plus loin que la seule idée de donner à chacun la liberté de prendre des initiatives dans son travail. L’organisation du travail, en principe une prérogative de l’employeur, est à la main du salarié. On quitte la prescription à tous les niveaux, pour re-situer l’action de chacun dans un cadre plus large, défini avec la totalité des collaborateurs. Les quelques grandes entreprises qui s’essayent dans ce modèle peuvent passer une année à partager et co-constuire ce cadre tous ensemble. Et cette vision partagée est une condition de réussite. Chacun doit comprendre clairement et à chaque niveau les grandes orientations de l’entreprise. Si vous demandez à chacun d’entreprendre ce qu’il pense bon pour atteindre les objectifs de l’entreprise, il est préférable que sa raison d’être soit vraiment très claire et donc absolument partagée ! Ce qui n’est pas si fréquemment le cas dans les grandes entreprises.
Pour moi, la meilleur des notions à comprendre est celle que nous apporte le psychologue du travail Yves Clot (CNAM) sur le « travail empêché ». Il le défini comme un travail qui n’existe pas dans les faits, car empêché, mais que chacun a dans la tête comme un travail qu’il faudrait faire pour atteindre les objectifs fixés. Ce travail n’existe pas en raison d’une multitude de paramètres, allant de ses propres compétences, à un système d’information qui ne permet pas d’agir comme on le voudrait, en passant pas un management qui ne permet pas de prendre des initiatives ou des systèmes qualité aux process bien établis… L’entreprise libérée c’est en quelque sorte une entreprise qui s’attelle à libérer le travail empêché !
Et cela nécessite une grande bienveillance de la part de l’organisation. Il faut rétablir de l’égalité dans les relations. Chacun doit pouvoir exprimer ses opinions, sans craindre d’un retour de bâton en cas de désaccord avec plus haut placé que soit. C’est donc un exercice subtil, qui commence par un changement culturel, au niveau des dirigeants déjà, qui doivent lâcher prise sur les relations de pouvoir qu’ils ont entretenues bon gré mal gré jusqu’à présent. Le dirigeant en premier lieu, dans la plupart des cas que nous avons étudiés, travaille sur lui pour changer son rapport au pouvoir, à l’égo, à la décision, à l’information…
Quelles sont les évolutions auxquelles sont confrontées les parties prenantes de l’entreprise lorsqu’elle se libère ?
Une entreprise libérée connait une mutation du travail en profondeur et tous les acteurs sont concernés. En premier lieu, chaque collaborateur « en bas de la hiérarchie », à qui l’on a prescrit le travail, son organisation, ses objectifs depuis toujours. Il est encouragé maintenant à passer dans une logique bien plus responsabilisante et engageante. Bien sûr le management, qui régule depuis très longtemps dans une logique de command and control et qui doit maintenant être dans la facilitation, l’inspiration, tout en animant la création d’un cadre commun qu’il s’agit de respecter et qui défini aussi les contours de l’autonomie laissée à chacun.
Les fonctions supports sont aussi amenées à se transformer pour qu’elles soient davantage pilotées par leurs usagers que par leur patron… Ou encore les partenaires sociaux, qui historiquement se sont inscrits dans une logique de confrontation et de défense du collaborateur.
Toute l’entreprise se transforme et les plus belles aventures dans ce chemin plein de bon sens nous ont montrées la grande humilité de chacun par rapport à ces démarches. Elles sont itératives et s’ajustent en permanence avec l’ensemble des parties prenantes. Des mécanismes d’autorégulation paire à paire se mettent en place et les modèles et standards tendent à disparaitre. Un corpus de valeurs et de règles intangibles se crée et se déforme en permanence, avec le principe de respecter la singularité des situations. Ce qui fonctionne dans une équipe n’est pas nécessairement mis en place dans une autre. L’entreprise devient d’une grande agilité car en autorégulation permanente par chaque individu qui la façonne.
Mais soyons clair, c’est un chemin long, de plusieurs années, qui commence avant tout par un changement de valeurs et de culture, basé sur une vision humaine de l’entreprise. C’est un chemin et non un projet avec un début et une fin. Certains dirigeants nous montrent l’exemple et éclairent de leur expérience d’autres qui s’en inspirent à leur manière. L’entreprise libérée n’est pas un modèle à dupliquer, chacun comprend ce qu’elle sous-tend en termes de relations de travail, avec une croyance forte que l‘intelligence collective est une intelligence qui mobilise 100% des cerveaux de son entreprises et plus seulement ceux de ses seuls dirigeants et managers.
> Pour en savoir plus sur Conseil & Recherche
> Egalement à lire sur le site de la Fondation Travailler autrement, L’entreprise libérée, l’autre façon de travailler autrement