3 questions à… Bruno Dupuis, co-auteur du rapport « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée »
Bruno Dupuis a une expérience de 25 ans dans les services territoriaux, centraux et internationaux du Ministère du Travail et de l’Emploi. Expert des questions sociales nationales et internationales, de la conduite de projets de management du changement et de la gestion de crises, il rejoint les équipes Alixio en 2013. En 2018, il co-rédige un rapport sur la santé au travail avec Charlotte Lecocq, députée LREM et Henri Forest, ancien secrétaire confédéral CFDT. Interview.
Quels sont les grands enseignements du rapport « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée » que vous avez co-rédigé avec Charlotte Lecocq, députée LREM et Henri Forest, ancien secrétaire confédéral CFDT ?
A partir de la lettre de mission du Premier Ministre qui nous a fixé un cadre à investiguer, nous avons examiné de façon approfondie les fondements et le fonctionnement du système de santé au travail français, dont la construction historique n’avait jamais été réinterrogée de manière aussi complète jusqu’à aujourd’hui.
Au fil des auditions nous avons constaté une dispersion des différents acteurs sur le terrain, la dilution des ressources financières et humaines et l’essoufflement des actions qui marquent la politique de santé au travail ces dernières années et en particulier sur la période récente dans la phase de mise en œuvre des actions définies dans le 3ième plan de santé au travail qui est par ailleurs un document remarquable dans ses objectifs et intentions pour faire progresser une politique de prévention.
La réforme que nous proposons a pour lignes directrices :
- La réunion sous le même toit des acteurs compétents qui interviennent dans le champ de la santé et de la sécurité au travail ;
- La mise en place d’une offre de service aux entreprises ouverte aux travailleurs indépendants, explicite, prévisible et homogène sur l’ensemble du territoire en proposant un guichet unique d’accès ;
- Une distinction claire entre les fonctions de contrôle, de réparation et de conseil en prévention pour recréer de la confiance particulièrement nécessaire pour le conseil ;
- Enfin la réaffirmation de l’implication des partenaires sociaux dans le pilotage et la gouvernance de ce système modernisé.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant ces mois d’audition et de travail ?
Tout d’abord nous avons mené un grand nombre d’auditions des partenaires sociaux, des acteurs du système, fait des déplacements pour échanger avec des personnes concernées dans le cadre d’ateliers d’échanges collectifs qui se sont tenus à proximité de Lille mais aussi à Paris.
Ce qu’il en est ressorti c’est que les entreprises et en particulier les TPE et PME ne comprennent pas du tout le système actuel. Elles ne savent à qui s’adresser pour avoir des conseils très opérationnels et ont une perception négative sur les services de santé au travail qui sont actuellement l’acteur qui a le plus important maillage territorial en considérant qu’elles ne reçoivent pas des prestations en rapport avec le prix qu’elles acquittent.
Les entreprises ont exprimé le besoin de savoir à qui elles ont affaire et d’avoir une réponse unifiée avec la notion de guichet unique et la nécessité de clarifier la relation pour créer de la confiance qui est le socle de base du conseil.
Pour prendre un exemple, certaines situations rencontrées assez massivement comme celles de l’inaptitude et de la prévention de la désinsertion professionnelle qui peut être liée au travail mais aussi à des maladies chronique ou à des personnes atteintes de cancer, les salariés et employeurs sont confrontés à des impasses qui débouchent sur des ruptures de parcours qui auraient pu être évitées si le système fonctionnait mieux.
Quelles sont les suites attendues du rapport ?
Le Premier Ministre Edouard Philippe à qui nous avons remis le rapport le 28 août dernier en présence d’Agnès Buzyn Ministre de la Santé et de Murielle Pénicaud ont tous les trois été enthousiastes sur le scénario et les pistes que nous proposons pour transformer profondément l’organisation de notre système de santé au travail et le rendre plus lisible et plus efficace pour les entreprises et leurs salariés. Murielle Pénicaud s’est notamment réjouie de l’évolution disruptive que nous avons proposée qui permet de véritablement de franchir une étape décisive.
Que s’est-il passé depuis ? Les ministres de la Santé et du Travail ont engagé au cours du mois d’octobre des discussions bilatérales avec chacun des partenaires sociaux en vue d’établir un document de cadrage qui sera probablement rendu public dans le courant du mois de novembre. Ce document définira en fonction de l’appétence des uns et des autres les champs de négociation et / ou de concertation le cas échéant dans le cadre du Conseil d’orientation des conditions de travail sur lesquels les représentants des salariés et des entreprises pourront discuter et se mettre d’accord pour définir un nouveau cadre d’organisation des acteurs du système de santé au travail mais pas uniquement car sur la thématique de la santé au travail tout n’est pas traité dans notre rapport certains sujets comme la définition des prérogatives des médecins du travail ou la QVT et la qualité même du travail étant en dehors de la lettre de cadrage de notre mission.
Selon le calendrier envisagé la négociation et / ou concertation devrait se dérouler entre décembre et mars et pourrait déboucher ensuite sur un projet de loi au cours de l’année 2019.
Sur une perspective plus longue et dans une étape ultérieure le rapport propose de développer un axe sur la convergence entre la prévention et la performance de l’entreprise qui intègre notamment la formation comme nous l’avons vu en région Auvergne Rhône Alpes avec le projet ELENCE.