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Les Invisibles

Métiers du lien : renforcer l’attractivité des métiers essentiels

Les métiers du lien souffrent de leur image et sont de moins en moins attractifs auprès des jeunes générations. Pourtant, ils sont indispensables à notre société dont la population tend à se vulnérabiliser. « Les femmes du lien : la vraie vie des travailleuses essentielles » de Vincent Jarousseau raconte la banalité invisible de ces travailleuses, les femmes étant surreprésentées dans ce secteur, avec la volonté d’héroïser leur quotidien. Si la démarche vise à forger les imaginaires sur ces métiers qui n’attirent plus, il convient de se questionner sur les enjeux et les pistes de revalorisation des métiers du lien dans une société qui en a plus que jamais besoin.

Des métiers de l’ombre peu valorisés donc peu attractifs

Elles sont techniciennes d’intervention sociale et familiale, aides à domicile, auxiliaires de vie sociale, assistantes maternelles, aides-soignantes, accompagnantes éducatives et sociales, éducatrices spécialisées ou encore assistantes familiales, et travaillent avec des enfants, des personnes isolées ou immigrées, des personnes en situation de dépendance parce qu’âgées, malades ou handicapées, et des familles en difficulté. Longtemps exercés par l’entourage familial ou par des bénévoles, ces métiers sont aujourd’hui reconnus. Ils requièrent à la fois un certain niveau de technicité et de responsabilité, mais aussi une véritable intelligence émotionnelle et sociale, qui leur permet de s’immiscer dans la vie privée des personnes dont elles s’occupent pour en prendre soin en relai – ou à la place – de leurs proches.

Toutefois, les conditions d’exercice de ces métiers en ternissent l’attractivité. Tout d’abord, les travailleuses du lien sont particulièrement concernées par la problématique de l’équilibre vie professionnelle – vie personnelle. Elles travaillent en effet principalement chez les autres et exercent un métier plutôt solitaire, en dehors des personnes dont elles s’occupent. Alors qu’elles passent beaucoup de temps dans les transports et disposent de peu de temps libre, cette question se recoupe avec celle du manque de reconnaissance : la comptabilisation des trajets n’est pas automatique dans le décompte du nombre d’heures travaillées et ne figure pas nécessairement dans la rémunération.

Ce sont des professions dont le niveau de diplôme n’est pas toujours en cohérence avec le niveau de revenu – faible -. Cette incohérence est liée à une agrégation de professions similaires sans être les identiques pour autant, qui sont donc souvent confondues entre elles et dont les missions peuvent empiéter les unes sur les autres. Par ailleurs, l’utilisation d’acronymes pour qualifier ces professions renforce la difficulté à distinguer et identifier correctement ces professions.

Ces corps de métiers souffrent également d’une invisibilité face aux pouvoirs publics. Un rapport du CESE sur les métiers de la cohésion sociale a montré cette invisibilisation dans les reportings de l’administration dont les critères d’évaluation sont obsolètes. Alors que les métiers du lien sont des métiers de gestes et de relations, l’aspect relationnel n’est pas pris en compte dans ce type d’évaluation alors même qu’il représente un pan primordial. A l’heure où l’on demande communément aux cadres et employés de bureau d’arborer un certain savoir-être, les travailleuses du lien en sont riches sans que ce ne soit mis en valeur. Il y a en réalité un gouffre entre les qualités et la forte responsabilité qu’on attribue à ces femmes, et le sentiment d’invisibilité qu’elles ressentent à travers leur travail.

Enfin, exercer un métier du lien nécessite d’être apte au don de soi, ce qui a tendance à contrevenir aux aspirations actuelle de liberté et de reconnaissance au travail. Avoir un métier qui a du sens ne suffirait plus ? Le désintérêt des jeunes générations envers ce type de métier témoigne du fait qu’il est aujourd’hui difficile d’accepter des contraintes sans compensation.

 

Comment rendre attractifs ces métiers essentiels ?

Le manque de valorisation de ces métiers se répercute sur leur attractivité. Pourtant, parmi les cinq métiers indispensables dans les prochaines années, trois sont des métiers du lien : aide à domicile, aide-soignante et infirmière.

Les métiers du lien font face à des difficultés de recrutement, une incapacité à répondre à l’ampleur de la demande, et au vieillissement de ses travailleuses. Tous ces éléments sont caractéristiques du manque d’attractivité de professions pourtant indispensables. Elles bénéficient en effet tant aux personnes directement aidées qu’aux personnes qui peuvent se reposer sur des professionnelles pour s’occuper de leurs proches. Ces activités ne se sont que récemment professionnalisées, auparavant exercées par les personnes – les femmes bien souvent – de l’entourage. Par ailleurs, notre société tend à se vulnérabiliser avec le vieillissement démographique : les enfants du baby-boom des années 1940 vont faire grimper le nombre de 75-84 ans de 4,1 millions à 6,1 millions entre 2020 et 2030 ! Il va donc y avoir un réel besoin de personnel dans ce secteur en particulier.

Alors comment valoriser ces métiers essentiels ? Il est nécessaire de commencer par valoriser les sujets qu’ils traitent. Vieillissement, maladie, violence, handicap ou encore immigration : les métiers de l’aide à domicile, de l’aide à la personne et de l’aide sociale y sont quotidiennement confrontés. La façon dont on s’occupe de l’humain vulnérable est centrale dans nos sociétés et devrait être présentée comme telle, par exemple dans le cadre du développement durable dans les cours de SVT à l’école. Il faut parvenir à susciter des vocations autour de ces métiers à haute exigence éthique et ce dès le plus jeune âge.

L’amélioration des conditions de travail est évidemment un autre levier à actionner. Créer des passerelles entre les diplômes ou entre les métiers à mi-carrière et proposer des perspectives d’évolution, prévoir des formations continues et garantir plus d’autonomie dans la relation aux clients sont des premières pistes. La question de l’équilibre vie pro – vie perso est aussi devenue centrale dans le rapport qu’entretiennent les Français au travail, c’est donc un véritable enjeu dans l’attractivité d’un métier.

Enfin, la question de la rémunération va de pair avec celle de la reconnaissance. Si les travailleuses du lien éprouvent le sentiment que leurs métiers sont utiles, la reconnaissance sociale et pécuniaire doivent répondre au don de soi nécessaire à leur exercice. Les métiers du lien sont essentiels. Faisons en sorte que toute la société les place au cœur de leurs priorités.