Une population difficile à intégrer dans l’emploi

La France compte 12 millions de personnes handicapées, et elles ne sont qu’1 million à être en emploi, dont 32% à temps partiel. C’est donc peu dire que c’est un public éloigné de l’emploi. Mais pourquoi ? Ce petit effectif peut s’expliquer par le fait que 80% des personnes en situation de handicap ont un handicap invisible (diabète, dépression, schizophrénie, dyslexie, endométriose, cancer, etc), et s’en cachent, par manque de confiance, par peur de railleries ou d’incompréhension. Ou tout simplement parce qu’ils ne le souhaitent pas ou ne savent pas que cela peut être une opportunité pour eux-mêmes et pour leur employeur. Sur ce dernier point, affirme Olfa Jouini, médecin du travail, « L’absence de visibilité du handicap laisse souvent penser aux autres que la personne n’est pas vraiment malade ». Pourtant, révéler son handicap peut permettre de bénéficier d’aides et d’un aménagement du travail, sans restreindre la productivité. Et ces conditions pourraient encourager les personnes handicapées à travailler.

Il faut également s’assurer que le profil de la personne corresponde au poste et aux missions effectuées. Tous les postes ne peuvent être adaptés. Par exemple, un poste en bureau sera plus accessible qu’un poste au remplissage de rayons d’un supermarché pour une personne en fauteuil roulant, et à l’inverse, une personne hyperactive ou avec des troubles de la concentration ne sera pas capable d’assumer des réunions longues. Ainsi, des deux côtés, il faut s’assurer d’une cohérence, et éviter d’employer des personnes handicapées par obligation. L’inclusion doit être volontaire, du côté de l’entreprise et de celui du salarié. Pour être bien dans son emploi, et y rester de manière pérenne, il vaut mieux choisir une entreprise et un poste adaptés à ses besoins spécifiques.

Des entreprises innovantes

Heureusement, les entreprises s’enquièrent de plus en plus de l’inclusion des travailleurs handicapés, et pas uniquement par obligation. C’est le cas de L’Oréal, qui sensibilise ses collaborateurs, au travers de formations et de communications internes, aux besoins des personnes en situation de handicap. BNP Paribas et LVMH, de leur côté, procèdent à des aménagements de poste, afin de compenser certaines difficultés. Par exemple, un salarié diabétique, pour qui il est impératif de déjeuner à heure fixe, peut quitter une réunion qui déborde sur l’heure du repas. Le groupe Randstad propose, quant à lui, aux salariés qui font de longs trajets pour venir au bureau et pour qui il est difficile de rester longtemps debout, de décaler les horaires de travail afin d’éviter les heures de pointe et de trouver des places assises. Dans le même sens, la société bretonne Linevia, qui assure le transport de voyageurs, adapte ses véhicules aux besoins de ses travailleurs handicapés. Par exemple, un conducteur qui n’a qu’une main a pu avoir un volant équipé d’une boule donnant accès à toutes les commandes et qui permet de faire tourner le véhicule d’une seule main. Dans un autre bus, la pédale de frein est devenue un levier manuel pour un chauffeur qui n’a qu’une seule jambe. Rendre une entreprise plus inclusive passe également par les processus de recrutement. Ainsi, l’entreprise de télécoms Sewan recrute des candidats via le forum TalentsHandicaps, et forme ses managers et équipes RH au recrutement et à l’encadrement des personnes handicapées.

Mieux encore, certaines entreprises, notamment dans la restauration, font de l’emploi des personnes handicapées leur raison d’être. C’est le cas de la chaîne de restaurants Dans Le Noir, qui embauche des serveurs non-voyants. Mais aussi de Le Reflet Nantes, dont l’équipe est majoritairement composée de personnes porteuses d’une trisomie 21, ou encore de La Belle Etincelle et Févier d’Or. Le succès de ces enseignes permet ainsi de déconstruire certains préjugés, comme le fait que les personnes handicapées ne peuvent travailler. A cette liste s’ajoutent Cafés Joyeux et Biscornu, qui valorisent les talents de personnes handicapées en incluant « la fragilité dans le monde par le travail et la rencontre ». Non seulement ces organisations emploient des personnes différentes, mais elles les placent à des postes visibles, et montrent ainsi que travail et handicap sont compatibles.

L’inclusion : une opportunité réciproque

L’intégration des personnes handicapées en entreprise est une opportunité dans les deux sens. C’est une intégration légitime et valorisante pour les personnes handicapées, généralement très dépendantes des autres. Nadine Abondo, fondatrice de la chocolaterie Févier d’Or, est « convaincue qu’il faut un travail pour être autonome ». C’est aussi une chance pour les entreprises de montrer leur engagement. Dans un monde où les salariés sont de plus en plus regardants sur l’impact de leur entreprise, les politiques d’inclusion sont un enjeu de fidélisation et d’attraction des talents. L’emploi des personnes en situation de handicap est aussi « un levier efficace pour faire face à la pénurie de main d’œuvre et aux difficultés de recrutement », comme l’affirme Christophe Roth, président de l’Agefiph. Enfin, ce sont des profils qui ont des compétences rares et pourtant essentielles : les personnes porteuses de handicap font généralement preuve de détermination, de résilience, ainsi que d’inventivité et d’adaptation, soft skills acquis tout au long de leur vie, pour trouver leur place dans la société et compenser leur handicap. C’est donc une réciprocité d’intérêts pour l’employeur et le salarié handicapé.

La sensibilisation de chacun, et notamment des collègues, est un levier majeur pour réduire les discriminations et améliorer durablement les conditions de travail et d’accueil des personnes porteuses de handicap. En incluant la formation aux handicaps invisibles : l’univers professionnel doit se familiariser avec toutes les maladies. Si travailler peut être bénéfique pour les personnes handicapées (enjeux d’inclusion, d’autonomie, de sens), cela ne peut se faire sans les conditions nécessaires pour s’intégrer et se maintenir dans l’emploi.

> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : 3 questions à … Charles Rozoy, champion paralympique à Londres en 2012, Ensemble, c’est travailler autrement.