Jouez ! Le travail à l’ère du management distractif
L’ouvrage de Stéphane Le Lay, sociologue du travail et chercheur questionne l’évolution de la place du jeu dans le management contemporain. Le jeu est en effet passé d’une activité autonome, parfois même de résistance au travail, à un outil managérial au service de l’idéologie néolibérale.
Le sujet :
Quels liens entre le jeu et le travail ? La question est plus complexe et plus diversifiée qu’il n’y parait. Ainsi, dans son livre, Stéphane Le Lay va présenter une analyse historique de la question et réfléchir aux modifications qu’elle subit ces dernières années, notamment à partir de trois terrains de recherche complémentaires.
L’ouvrage est ancré à la fois dans les approches de sociologie du travail historique et dans le champ, plus récent, de la psychodynamique du travail. Ce double rattachement lui permet de traiter finement, tout au long du texte, tant l’enjeu organisationnel et collectif de ce sujet que ses dimensions individuelles et psychiques pour les travailleurs et travailleuses.
Stéphane Le Lay explique ainsi que pendant longtemps, le jeu a été présent dans le travail mais à l’initiative des travailleurs : défis de productivité des ouvriers, détournement d’objets, etc. Cela pouvait être des stratégies pour « tenir » face à la difficulté du métier, pour gérer certaines dimensions difficiles de l’activité (le danger de l’ennui par exemple), ou bien encore d’explicite forme de résistance à la prescription et au management. Dans tous les cas, la dimension ludique était alors une forme de ressource psychique pour les individus en plus d’être une construction autonome du collectif de travail, éloignée du management (si ce n’est cachée ou opposée au management).
Toutefois, le management contemporain s’est saisi du principe du « fun at work » pour instrumentaliser le « jouer » au profit des enjeux managériaux de contrôle et de productivité. Les « challenges » et autres activités « ludiques » deviennent ainsi des dispositifs de contrôle et de régulation des comportements et d’alignement de travailleurs aux objectifs de l’organisation.
Ce retournement du jeu dans le travail entraîne logiquement, selon l’auteur, des conséquences délétères tant sur les collectifs de travail que sur le psychisme des travailleurs. En cela, le livre de Stéphane Le Lay nous conduit à nous interroger sur ces formes de management « détournées » et rappelle que le travail continue à nécessiter d’être identifié et vécu en tant que tel. Travailler « autrement » ce n’est pas jouer : c’est toujours travailler – et c’est très bien comme ça.
L’auteur :
Sociologue du travail, Stéphane Le Lay est chercheur associé à l’Institut de psychodynamique du travail. Il est coauteur de Ma thèse en 180 secondes. Quand la science devient spectacle (2021) et des Travailleurs des déchets (2011).
La citation :
« Ce dernier point constitue un élément d’explication important pour comprendre « l’inflation gamificatrice ». Le management distractif a pu se déployer d’autant plus facilement qu’il répondait aux exigences pratiques néolibérales : dans les deux cas, le principe de concurrence interindividuelle est privilégié comme voie unique pour accroître les performances et répartir les gains issus des dynamiques de marché. Dans cette conception de l’action, l’individu est pensé comme […] un acteur rationnel fermé sur lui-même et préoccupé uniquement par la satisfaction de son besoin de victoire sur autrui, signe de sa capacité à s’adapter en permanence aux changements pour demeurer le meilleur (du marché ou du « jeu »). »
> Pour en savoir plus, vous pouvez vous procurer cet ouvrage ici
> A lire aussi sur le site de la Fondation Travailler autrement : Quel management des talents aujourd’hui ? Et demain ? , La collaboration intergénérationnelle : un défi pour les entreprises ?