Travailleurs mobiles et travailleurs sédentaires : comment éviter le fossé ?
Le monde du travail prend progressivement ses responsabilités à l’égard de la mobilité de ses collaborateurs. En moyenne, les Français parcourent 40km par jour pour se rendre sur leur lieu de travail, et 65% utilisent leur voiture au quotidien. L’enjeu des trajets domicile-travail centralise donc les débats. Pourtant, pour une bonne partie de la population active, l’usage d’un véhicule est inhérent à l’exercice de sa profession. Qui sont ces travailleurs mobiles ? Quelles sont les pistes pour améliorer leur quotidien au travail ? Comment les préserver du fossé qui se creuse entre eux et les travailleurs “sédentaires”, notamment les télétravailleurs ?
Les travailleurs mobiles : qui sont-ils ?
Ils sont aides à domicile, techniciens de maintenance, routiers, commerciaux ou encore livreurs et font partie de ces 10 millions de travailleurs mobiles qui ne disposent pas d’un lieu de travail fixe et dont le temps passé en déplacement dans leur véhicule constitue une part importante de leur journée de travail. Ils effectuent en moyenne entre 50 et 140 km par jour pour effectuer leurs tâches sur des géographies multiples et fragmentées. Parmi ces travailleurs mobiles, nous retrouvons les métiers roulants (c’est-à-dire des professions proprement mobiles comme les chauffeurs) et les travailleurs concernés par les déplacements intra-professionnels (se déplaçant pour effectuer leurs tâches comme les infirmiers libéraux).
Plusieurs enjeux sont liés à ces professions. Il y a tout d’abord un éclatement géographique de ces travailleurs qui croisent de fait peu leurs collègues. De plus, les travailleurs mobiles sont souvent soumis à des horaires atypiques (travail de nuit, tranches horaires réduites…). Cela n’est pas sans conséquence sur leur statut et leurs conditions d’emploi puisque beaucoup sont soumis à des temps partiels et à des contrats multi-employeurs (c’est notamment le cas dans les métiers de la sécurité et de la propreté). Malgré ces conditions de travail parfois difficiles, on observe une augmentation rapide du nombre de travailleurs mobiles dans notre société : ces emplois ont progressé de 10% ces dix dernières années, contre 3% pour les emplois classiques !
Parallèlement, le télétravail se développe et l’injonction à se tourner vers les transports en commun ou les mobilités douces dans un souci environnemental est omniprésente. Mais il convient de rappeler que les travailleurs mobiles n’ont pas d’alternative à leur voiture (transport de matériel, horaires inadaptés avec ceux des transports, urgences…) ! Pourtant, ils représentent 40% de la population active et semblent oubliés par les études réalisées et les mesures prises sur la mobilité au travail.
C’est pourquoi, dans son numéro de mars-avril 2022, la revue Horizons Publics a consacré un article à ces travailleurs : “Les travailleurs mobiles, un angle mort des politiques publiques”. En rapportant qu’ils étaient surreprésentés dans le mouvement des Gilets Jaunes, l’article révèle la manière dont l’action publique peine à prendre en considération la réalité du terrain de ces usagers de la voiture, qui n’ont pas accepté la mesure de hausse des prix du carburant.
Entre travailleurs mobiles et sédentaires : un fossé qui se creuse ?
Ainsi, alors que le télétravail est un sujet omniprésent dans l’actualité, et que l’impact positif qu’il a sur l’environnement en réduisant les trajets domicile-travail est avéré, il convient de rappeler que cette façon de travailler n’est pas compatible avec tous les métiers. A l’inverse, nombreux sont ceux qui nécessitent de se déplacer tout au long de la journée. Dès lors, il faut veiller à éviter de “creuser le différentiel” entre les travailleurs sédentaires et les actifs mobiles.
Toutefois, précisons que ces deux catégories de travailleurs ont quelques points communs :
- concernant le temps de travail : en télétravail comme sur la route, la comptabilisation des heures travaillées, notamment des heures supplémentaires, est une réelle problématique (hyperconnexion, comptabilisation non systématique des temps de trajets entre chaque tâche, horaires décalés…). C’est donc un point de vigilance.
- concernant la santé des travailleurs : la sédentarisation induite par le télétravail et la mise en mouvement quotidienne des travailleurs mobiles peuvent comporter un risque pour la santé. C’est donc un sujet à prendre en considération
- concernant l’environnement de travail : une forme de solitude peut se développer dans les deux cas et les risques psychosociaux inhérents doivent faire l’objet de mesures de prévention et de surveillance de la part de l’employeur. C’est donc une attention à mettre en œuvre.
Ainsi, travailleurs mobiles et sédentaires sont tous touchés par les questions de conditions de travail, de qualité de vie au travail et de santé au travail. Toutefois, l’impact de leur activité sur l’environnement est différent, et les pouvoirs publics apportent des réponses parfois inadaptées : comment accéder aux métropoles qui ont mis en place des zones à faible émission alors que le travailleur ou l’entreprise ne peut payer un véhicule moins polluant, ou le prix de l’électricité s’il fallait passer au véhicule électrique ? Il est primordial que les pouvoirs publics prennent conscience de ce paradoxe pour que les travailleurs et les entreprises concernés ne deviennent pas réfractaires aux mesures de transitions écologiques : pour cela, il faut rester pragmatique.
La responsabilité des entreprises dans la gestion des déplacements professionnels
Si les travailleurs mobiles exercent des métiers qui nécessitent de se rendre tour à tour chez des clients, sur des chantiers ou dans des entreprises, il relève aussi de la responsabilité de l’entreprise d’organiser des plannings réalistes et de mieux segmenter les aires géographiques d’intervention des travailleurs. Depuis plusieurs années, reconnaissons que les employeurs innovent et sont moteurs, en ayant optimisé ces organisations tant pour des raisons financières que pour améliorer la productivité et pour présenter les conditions de travail de leurs équipes. Par exemple, il en va des conditions de travail du salarié que de ne pas se voir accorder des missions pour lesquelles d’autres travailleurs plus proches pourraient intervenir : cela favoriserait des conditions de travail moins contraignantes, un bien-être au travail plus important et surtout une productivité supérieure. De plus, il est de la responsabilité environnementale de l’entreprise de réduire autant que possible l’impact écologique du secteur malgré ses impératifs, en répartissant géographiquement de façon plus intelligente les tâches des travailleurs.
Les travailleurs mobiles représentent donc une grande partie des actifs français mais l’utilisation de la voiture inhérente à l’exercice de leurs professions semble être un sujet occulté dans le débat public. Pourtant, il est primordial que tous les travailleurs, et tous les citoyens plus largement, soient inclus dans la transition écologique. En outre, il s’agit d’un impératif de cohésion sociale que de veiller à ne pas créer de différentiel entre les différentes catégories de travailleurs, en l’espèce entre ces travailleurs toujours en mouvement, et les télétravailleurs dont la mobilité est moindre et dont l’acceptation des mesures de mobilités alternatives est plus facile. C’est pourquoi le sujet de la mobilité au travail est transversal et pourrait faire l’objet d’une politique publique ambitieuse autour de l’écologie certes, mais aussi – et sur un pied d’égalité – autour des conditions de travail, du bien-être au travail et de la préservation de la cohésion sociale.
> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : 3 questions à… Éric Chareyron, Directeur Prospective, Mode de vie & Mobilité dans les territoires, Keolis, Mobilité et enjeux environnementaux : comment améliorer notre avenir sans injustice sociale ?, Aides à domicile et aides-soignants : quel avenir ?, Mobilités professionnelles interrégionales, quels changements ?