De gardiens des clés à médiateurs sociaux : les gardiens d’immeuble des logements sociaux parisiens
En France, 11 millions de concitoyens habitent dans des logements sociaux, où une personne joue un rôle central : le gardien de l’immeuble. Connu de tous, souvent apprécié, toujours utile, le gardien est non seulement en charge de la gestion, de l’entretien et de la surveillance des locaux, mais aussi, de façon plus officieuse et très répandue, de garantir le “vivre ensemble” et le “bien habiter” dans des quartiers parfois difficiles. Entre les tâches qui leur incombent dans le cadre de leur profession et celles qu’ils réalisent dans un souci d’adaptation à la vie quotidienne, les gardiens d’immeuble sont sur tous les fronts. Mais leur travail est-il reconnu à sa juste valeur ?
Un acteur de proximité essentiel dans le parc social
La profession de gardien d’immeuble est à 59% exercée par des femmes, d’origine modeste, familières avec le métier puisqu’il s’agit d’un secteur qui pratique beaucoup la cooptation, et avec en moyenne 14 années d’ancienneté dans le métier. Le parc social parisien, qui couvre un quart des logements de la capitale, engage quelques 3 000 gardiens d’immeuble. La particularité du métier de gardien dans le logement social est que le travail réalisé dépasse les attentes strictes du métier : en plus de l’entretien des locaux, la sortie des poubelles, la permanence d’accueil, la surveillance, la gestion des entrées et sorties des locataires, la gestion des prestataires, et le jeu de l’intermédiaire entre le bailleur social et les résidents, le gardiennage comporte aussi une dimension sociale. En effet, “être gardien d’immeuble, c’est se réveiller avec 50 problèmes à régler, tout en sachant qu’ils seront résolus d’ici la fin de la journée”. Les gardiens s’improvisent alors bien souvent assistants sociaux, animateurs, parfois même réparateurs ou encore facteurs. En bref, ils rendent des services pour répondre aux besoins des résidents, et sont l’oreille attentive d’un grand nombre d’entre eux, au point que certains gardiens parlent de leur loge comme d’un confessionnal. Les gardiens d’immeubles du logement social sont dotés d’une fibre sociale essentielle aux conditions et à l’environnement d’exercice de leur métier.
Le sentiment d’utilité que les gardiens retirent de leur fonction est d’autant plus présent que la reconnaissance humaine de la part des résidents est réelle. Pour autant, la violence, la petite délinquance, la paupérisation, le trafic de drogue, et les conflits interethniques et religieux sont autant de vécus qui rendent le quotidien des gardiens d’immeuble en logement social éprouvant et qui justifient leur rôle social. Ils endossent alors parfois un rôle de médiateur pour gérer les conflits et les incivilités, et certains bailleurs sociaux ont même expérimenté d’habiliter leurs gardiens à dresser des PV. Une telle mesure les aide à faire respecter les règles. Les gardiens se font aussi lanceurs d’alerte : parfois confrontés à des situations sociales ou familiales complexes comme des témoignages de violences intrafamiliales par exemple, ils peuvent effectuer des signalements.
En bref, la profession de gardien dans le logement social, en tant qu’acteur de proximité, est une profession qui s’adapte dans la pratique aux besoins du terrain, pour devenir un “facilitateur du vivre-ensemble ».
Une méconnaissance de l’ampleur du travail qui empêche sa reconnaissance à sa juste valeur
Si les gardiens ressentent la reconnaissance dont les résidents font preuve, aux yeux de la société, ils sont invisibles.
Tout d’abord la profession est stigmatisée et réduite, dans l’imaginaire collectif, aux tâches “ingrates” telles que sortir les poubelles ou entretenir l’immeuble. Pourtant, si ce métier est parfois difficile à exercer, les gardiens en tirent une grande fierté, un sentiment d’utilité mais aussi de liberté, notamment dans leur capacité à organiser leurs journées de travail. Cependant, on peut observer qu’y compris chez les gardiens épanouis dans leur travail, rares sont ceux qui souhaiteraient que leurs enfants exercent ce métier. En effet, en dehors de la difficulté de la profession, c’est la volonté d’ascension sociale qui entraine cette réponse.
Par ailleurs, le métier de gardien est polyvalent et physique, et peut exposer les travailleurs à des problèmes de santé, comme cités dans l’ouvrage « Eloge des loges, histoires vraies de gardiens et gardiennes d’immeuble parisiens » de Aude de Toqueville et Jean-Michel Djian :
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Augmentation des accidents du travail et des troubles musculosquelettiques ces 5-6 dernières années
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Augmentation du nombre d’agressions physiques et verbales
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Augmentation de la charge psychologique et donc des troubles psychosociaux
Avec un salaire moyen de 1800€ net par mois en sus de l’avantage en nature du logement mis à leur disposition par le bailleur social, les gardiens d’immeuble ont le sentiment que l’ampleur de leur travail n’est pas reconnue à sa juste valeur, ce qui s’explique en partie par le fait que l’aspect social est souvent occulté, alors qu’il est omniprésent.
En réponse à cette problématique de reconnaissance professionnelle et à ce besoin du terrain, le CAP gardien d’immeuble forme désormais à la polyvalence du métier mais aussi au relationnel et à la gestion de conflit. Par exemple, le dernier module proposé en 2022 était “altérité et interculturalité”. Pour autant, la profession dans le logement social embauche beaucoup par cooptation et l’apprentissage a tendance à se faire sur le tas. Il y a donc un véritable enjeu d’attractivité du métier, d’autant qu’il s’agit d’une profession qui, à l’inverse des gardiens d’immeuble dans le parc privé, n’a pas vocation à disparaître ou à être substituée. En effet, selon Aude de Toqueville :
« Les bailleurs sociaux se sont rendus compte de l’importance du lien humain dans les immeubles. Ils ont vraiment compris ça aujourd’hui, ils embauchent de plus en plus.”.
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