La semaine de quatre jours : un modèle gagnant-gagnant ?
Face aux évolutions du monde professionnel et du rapport des Français au travail, la semaine de quatre jours fait son chemin dans le débat public. Si beaucoup de travailleurs la voient comme une opportunité d’améliorer leur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, elle soulève tout de même la question de la compatibilité entre aspirations individuelles et impératifs de performance de l’entreprise. En effet, pour avoir une chance de se pérenniser, la semaine de quatre jours doit présenter un bénéfice pour les deux parties : employeurs et salariés. Alors qu’en est-il réellement ?
Un dispositif qui répond aux souhaits d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ?
Tout d’abord, cette organisation de travail ne convient pas à toutes les professions et est souvent mis en avant pour compenser l’impossibilité de télétravailler, notamment pour les cols bleus. C’est un rythme qui permet de dégager une journée supplémentaire dédiée à la vie privée, ce qui explique qu’il soit plébiscité par 67% des salariés français. Toutefois, toutes les modalités d’application de la semaine de quatre jours n’ont pas les mêmes conséquences à cet égard. Lorsqu’il y a une compression du temps de travail, les journées sont rallongées ce qui peut devenir incompatible avec la gestion des impératifs personnels (horaires d’école et de crèche, garde d’enfants, rendez-vous médicaux, etc.). C’est l’explication principale du flop de l’expérimentation de la semaine de quatre jours à l’Urssaf Picardie où seulement 3 agents sur 200 éligibles s’étaient portés volontaires. A l’inverse, quand la semaine de quatre jours prend la forme d’une réduction du temps de travail, les travailleurs conservent leurs horaires de travail. Dans les deux cas, équilibre entre vie pro et vie perso ne rime pas avec la même réalité : l’adhésion des travailleurs au modèle mis en place dépend de leurs impératifs personnels. Tous les travailleurs n’en ont donc pas la même définition : il s’agit d’une aspiration individuelle qui a vocation à se transformer avec l’évolution de la vie des travailleurs (parentalité, aidance, etc.). Dès lors, faire converger ces revendications personnelles vers un modèle d’organisation collective qui convient à tous est un défi majeur.
Quid de la viabilité économique de l’entreprise ?
S’il est primordial de veiller au bien-être des salariés et de répondre à l’évolution de leurs besoins, cela ne saurait se faire au détriment de la viabilité économique de l’entreprise. En effet, l’argument des gains de productivité est souvent mis en avant par les promoteurs de la semaine de quatre jours, mais qu’en est-il vraiment ? Comment trouver la bonne recette ?
Tout d’abord, de nombreuses études démontrent que le jour de repos supplémentaire peut contribuer à réduire l’absentéisme au travail, prévenir les cas de burn-out, et renforcer la capacité de concentration des salariés. Par ailleurs, certaines entreprises notent une hausse de la productivité de leurs salariés grâce à ce modèle qui, au-delà du bien-être au travail, favorise l’engagement à l’entreprise et à son poste, et donc à l’envie décuplée de bien faire son travail. Chez LDLC, entreprise ayant mis en place la semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail, on considère que c’est “travailler moins pour travailler mieux”. Il faut cependant rester réaliste : pour les travailleurs exerçant des métiers physiques ou pénibles, une compression du temps de travail pourrait engendrer une fatigue accrue au fil de la journée, augmentant les risques d’accidents ou nuisant à leur productivité dans leurs tâches, notamment en fin de journée. Si l’entreprise veut mettre en place la semaine de quatre jours, il faudra qu’elle soit vigilante aux spécificités des métiers concernés et des risques qui les accompagnent, pour éviter tout effet contre-productif de la mesure. Par ailleurs, parvenir à faire en quatre jours ce qui était auparavant réalisé en cinq est un vrai défi d’organisation : avec les fournisseurs, avec les clients, ou tout simplement avec la capacité humaine à tenir dans la longueur. Grégory Marcillac, gérant de la société Marcillac & fils, livrait dans une interview pour France Bleu son questionnement quant au passage à la semaine de quatre jours dans son entreprise de peinture et de revêtement : “va-t-on être en capacité de pouvoir être efficace sans trop se fatiguer, même si on a l’avantage aussi d’avoir trois jours consécutifs le vendredi, samedi et dimanche pour se reposer et pour faire aussi d’autres choses ?”. Selon lui, la meilleure manière de prévenir les risques, c’est d’expérimenter et de surveiller attentivement tout potentiel risque de surcharge de travail : il faut tester, se tromper, ajuster, pour trouver la meilleure configuration possible.
Enfin, la mise en place de la semaine de quatre jours en entreprise pourrait rapidement devenir un atout majeur en termes de marque employeur. Elle pourrait à l’avenir devenir un avantage concurrentiel pour attirer et retenir les talents, car elle répond aux besoins croissants des travailleurs.
Comment créer ensemble un modèle pérenne ?
Comme toute innovation, il est nécessaire que l’employeur prenne le temps d’écouter les attentes des salariés, mais qu’il prenne aussi la mesure de la spécificité de certaines professions pour prendre une décision qui soit partagée et pragmatique. La semaine de quatre jours est omniprésente dans les médias : alors que beaucoup y aspirent, il faut garder à l’esprit que toutes les expériences n’ont pas été concluantes.
C’est pourquoi l’expérimentation est nécessaire pour observer la viabilité du modèle dans une entreprise en particulier, dans son secteur d’activité, avec ses salariés, pour ensuite s’ajuster aux besoins ou aux désagréments potentiels. Du côté de l’entreprise, il faudra veiller aux possibles perturbations opérationnelles ainsi qu’aux répercussions économiques en cas de baisse de productivité. Du côté des salariés, les managers de proximité devront endosser un rôle de garde-fou pour prévenir des risques liés à l’intensification du travail, et ainsi se faire l’intermédiaire entre les membres de l’équipe et le dirigeant, pour créer ensemble un modèle gagnant-gagnant et pérenne.
Pour Stéphane Dubois, directeur groupe des Ressources Humaines de Safran, derrière l’apparente simplicité de la solution de la semaine de quatre jours « c’est finalement toute la problématique du rapport au travail et plus généralement de la place du collectif, longtemps intrinsèquement liée à la présence sur le lieu de travail qui émerge avec, à la clef, une fracture de plus en plus marquée entre d’un côté les régions du monde (Europe, Etats-Unis) où cette question se pose et ceux (Inde, Chine, Maroc, Mexique) où elle n’existe pas ».
> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : « Semaine de 4 jours : le temps du monde d’après », La semaine de 4 jours : oui, mais pas n’importe comment !, Comment ont évolué les rythmes de travail en 2020 ?