La semaine de 4 jours : oui, mais pas n’importe comment !
La semaine de 4 jours, plébiscitée pour ses nombreux avantages (meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, productivité, bien-être, attraction des talents, etc), crée en revanche des défis managériaux inédits. Ainsi, sa mise en place ne doit pas se faire sans expérimentation : une approche réfléchie et personnalisée est nécessaire, et les managers sont alors les architectes de cette transition.
La pluralité des modèles de la semaine de 4 jours
Depuis la crise du Covid19, le monde du travail est en mutation. Parmi les transformations les plus plébiscitées : la semaine de 4 jours, vue comme une compensation pour les salariés qui ne peuvent pas télétravailler, notamment les cols bleus. L’expérimentation menée au Royaume-Uni en 2022 l’a prouvé : sur la soixantaine d’entreprises qui ont tenté l’expérience pendant 6 mois, 92% ont décidé de poursuivre cette organisation du travail.
Derrière l’appellation “semaine de 4 jours” se cachent une multitude de déclinaisons : compression (35h en 4 jours) ou réduction du temps de travail (32h en 4 jours), avec ou sans maintien du salaire, rotation d’équipe ou fermeture de l’entreprise sur un jour défini, mise en place hebdomadaire, mensuelle, saisonnière ou annuelle… Pour chaque organisation qui l’a expérimentée ou mise en place définitivement en France, on dénote des modalités différentes. Par exemple, si l’entreprise LDLC est passée à 32h en 2021 pour tous ses salariés avec maintien de salaire, la métropole de Lyon laisse les collaborateurs s’organiser comme ils le souhaitent (ils peuvent travailler 4 jours, 4 jours et demi, 5 jours dans la semaine), l’important étant qu’ils effectuent leurs 35 heures. Le restaurant La Java Bleue, quant à lui, organise un roulement de deux équipes pour rester ouvert 7 jours sur 7.
La mise en place de la semaine de 4 jours dans l’entreprise engendre des défis juridiques et de ressources humaines, demandant une révision des contrats de travail, des compensations, des RTT. Elle demande aussi une nouvelle organisation du travail et engendre des défis managériaux essentiels.
Le manager : chef d’orchestre pour allier flexibilité, productivité et maintien du collectif
Pour que la semaine de 4 jours soit une réussite, il incombe au manager de prévoir l’organisation qui convient le mieux à toute son équipe, sachant qu’il peut avoir un salarié qui travaille 4 jours, un autre qui fait du télétravail, quand le troisième ne fera ni l’un ni l’autre. Cela demande une flexibilité et une confiance accrues de sa part, mais aussi un effort de tous pour atteindre les objectifs collectifs et individuels.
Le manager est ainsi le “premier de corvée” : avec l’individualisation montante des exigences des collaborateurs, il gère le passage “d’un droit collectif des travailleurs aux droits de la personne au travail”. Mais en faisant cela, il doit s’assurer de ne pas creuser les inégalités entre ceux qui peuvent travailler 4 jours et ceux qui ne le peuvent pas, que ce soit parce que leur poste ne leur permet pas ou parce qu’ils ont des contraintes personnelles (c’est notamment le cas des parents solo, des aidants, des personnes à la santé fragile). A l’inverse, lorsque l’entreprise décide d’instaurer les 32 heures payées 35, il s’agit de réguler la situation pour le cas des salariés qui travaillaient déjà 80% du temps, avec une baisse de salaire. De même, si l’entreprise décide d’instaurer la semaine de 4 jours uniquement pour les salariés dont le poste n’est pas télétravaillable, quid de celui qui y a accès mais refuse d’y recourir parce que les conditions de travail à son domicile ne sont pas idéales ? Le manager doit ainsi arbitrer entre ces situations, tout en s’assurant que cette réorganisation du travail n’impute pas le collectif. Il s’agit alors de réinventer des moments de présence physique, d’assurer une continuité du partage d’information et de communication fluide.
Par ailleurs, dans le cas de la semaine de 4 jours avec baisse du temps de travail et maintien de salaire, le coût du travail augmente nécessairement de 20%. Il faut donc compenser cette dépense réelle de l’entreprise par une augmentation de la productivité, une amélioration des relations clients et fournisseurs, et une qualité du travail optimisée.
Avec la semaine de 4 jours : une réorganisation complète du travail
Comme toute nouvelle organisation du travail, la mise en place n’est pas toujours aisée. La semaine de 4 jours exige une réorganisation profonde de la manière dont le travail est organisé, bien au-delà du simple ajustement des heures. Parmi les éléments qui sont à repenser : planification minutieuse, ajustement des objectifs, réunions moins longues et moins fréquentes, priorisation des tâches et élimination des petites tâches inutiles du quotidien, création de binômes sur un même poste, allègement des process. Selon Welcome to the Jungle, la “bonne” semaine de 4 jours “est celle qui est prétexte à une réflexion sur le travail et une amélioration de la productivité.
Il est alors primordial d’accompagner les salariés, via des moments d’échange formels et informels réguliers et des guides de bonnes pratiques par exemple. Un processus d’évaluation doit également être mis en place, en prenant en compte différents facteurs : taux d’absentéisme, engagement, productivité, interactions entre les équipes, stress, satisfaction des clients et prestataires, turnover, attractivité. La start-up Gangstères mesure ainsi mensuellement 6 indicateurs de qualité de vie au travail et demande aux équipes de remplir un outil de suivi des performances pour mesurer l’indice de productivité et d’efficacité de l’entreprise.
Il ne peut y avoir de solution unique : un modèle efficace dans une entreprise ne le sera pas forcément dans une autre. Comme le souligne Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE, il faut adopter une démarche expérimentale. « Il ne faut pas décréter la semaine de quatre jours, mais ouvrir un espace de discussion » – Damien Richards, chercheur en gestion des ressources humaines à l’Inseec Grande École. Il faut en tout cas s’y préparer : il est légitime d’être sceptique quant à sa mise en place, qui nécessitera de se réadapter, mais ne pas l’expérimenter comporte le risque de perdre en attractivité face à la concurrence.
> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : « Semaine de 4 jours : le temps du monde d’après », La semaine de quatre jours : un modèle gagnant-gagnant ?, La semaine de 4 jours : oui, mais pas n’importe comment !, Comment ont évolué les rythmes de travail en 2020 ?