Améliorons l’emploi des seniors !
Alors que la catégorie « senior » n‘est pas précisément définie en droit français, les conséquences sont très concrètes sur les travailleurs identifiés comme tels dans le monde du travail : le taux d’emploi des 55-64 ans stagne à 56% contre 73% en moyenne, et leur risque de chômage longue durée est également deux fois plus élevé. Or, face au vieillissement de la population et au recul de l’âge de départ à la retraite, la population active vieillit et les entreprises, comme l’Etat, vont devoir répondre à l’enjeu de l’emploi des seniors, tant pour des questions d’égalité que de prospérité économique.
Senior : une catégorie mal définie mais des répercussions concrètes et quotidiennes
50 ans selon l’INSEE, 55 ans pour l’Apec et France Travail, et parfois même 57 dans certaines mesures gouvernementales : la variation de l’âge à partir duquel un travailleur est considéré comme senior varie selon les institutions de référence et contribue au flou de la catégorie des travailleurs seniors.
Malgré ce flou, le monde du travail renvoie au collaborateur qui dépasse un certain âge un paradoxe très concret : loué pour son expérience, son expertise, son savoir être et sa fidélité, il commence à subir toutefois une forme de stigmatisation, parfois même de “placardisation”. Dès lors, être identifié comme un travailleur senior peut freiner à l’embauche et à l’évolution hiérarchique, voire pousser vers la sortie. D’après une étude de Malakoff Humanis, 32% des seniors interrogés disent subir des remarques et des critiques de la part de leurs collègues en raison de leur âge, 23% estiment être mis à l’écart sur certains postes ou pour une promotion, et 20% d’entre eux jugent subir une attitude discriminatoire de la part de leur manager pour les mêmes raisons. Et en effet, 1 manager sur 3 et 2 DRH sur 3 affirment avoir déjà rejeté des candidatures de profils seniors dans le cadre d’un recrutement. Pour cause, près de 2 employeurs sur 3 appréhendent la capacité des seniors à comprendre les attentes des plus jeunes, à s’adapter aux processus de travail, et à s’approprier les nouvelles technologiques.
En repoussant l’âge légal de départ, la dernière réforme des retraites a relancé le débat sur l’emploi des seniors. Si leur taux d’emploi grimpe depuis 20 ans, les travailleurs de plus de 50 ans continuent pour autant de rencontrer des difficultés pour conserver ou retrouver un emploi.
Seniors : les freins et leviers de leur employabilité et de leur santé
Tout d’abord, le vieillissement est un facteur de dégradation de l’état de santé et peut questionner les travailleurs sur leur capacité à exercer le même métier jusqu’à leur retraite, notamment dans les secteurs les plus physiques. D’après l’étude de Malakoff Humanis, 64% des dirigeants se disent préoccupés par le maintien dans l’emploi des seniors, la gestion de leur santé figurant parmi les premières réticences. Nombreux sont les employeurs qui souhaiteraient de ce fait être mieux accompagnés, pour pouvoir eux-mêmes mieux prendre en charge l’évolution de carrière de leurs salariés seniors. A besoin spécifique, solution spécifique : pour pouvoir continuer à travailler tout en ménageant leur état de santé, il est possible de mettre en place pour les seniors des aménagements de poste (ergonomie, horaires de travail, temps de travail), une reconversion vers un poste plus adapté, ou encore une cessation progressive ou partielle de l’activité à partir d’un âge prédéterminé.
Si les conditions de travail et la santé au travail sont mieux pris en compte depuis quelques dizaines d’années, 30% des actifs sortent de l’emploi avant l’âge de la retraite, en grande partie pour des raisons de santé, et avec une surreprésentation des travailleurs les moins qualifiés. Ces métiers méritent donc une attention toute particulière quant aux conditions de travail, puisque ce sont ceux qui ont le plus de répercussions sur l’état de santé des travailleurs. Pour réduire les risques de départ précoce, il est impératif d’adapter le monde de l’entreprise aux aléas de santé liés au vieillissement, parfois accentué par l’usure professionnelle. Pour Stéphane Dubois, directeur des ressources humaines et sociétales de Safran, « si l’on veut que les salariés expérimentés restent plus longtemps dans l’entreprise, il faut que les entreprises elles-mêmes changent leur organisation du travail. ».
L’employabilité est un autre frein au maintien ou à l’embauche d’un senior. Les employeurs sont souvent réticents à l’idée d’embaucher ces profils qui leur coûtent plus cher et sont parfois soupçonnés de ne plus être à jour dans les nouvelles techniques de travail ou de management. La formation est donc un levier essentiel à l’employabilité des seniors. Aujourd’hui, seulement 1 salarié sur 10 a suivi une formation professionnelle entre ses 45 et ses 62 ans. Pour remédier à cela, il conviendrait de mettre en place des bilans de compétences et des plans d’actualisation des compétences pour les seniors, afin de leur permettre de continuer d’exercer leur métier sans accumuler de retard lié à l’évolution des pratiques, ou pour attester de leurs compétences égales à celles des salariés plus jeunes. Par ailleurs, il existe une inquiétude de certaines entreprises dans le recrutement d’un senior en fin de carrière, car la mise à la retraite d’office d’un salarié ne peut être possible qu’après 70 ans.
Ainsi, la santé et la formation sont deux freins évidents à l’emploi des seniors, mais peuvent devenir deux leviers de productivité et d’inclusion, à condition que l’employeur soit à la fois accompagné par l’Etat dans ses démarches, mais qu’il fasse aussi preuve d’un volontarisme dans sa façon d’impulser des mesures en interne. D’autres pistes plus générales sont également envisagées pour améliorer la situation : l’index senior imposerait aux entreprises de publier le taux de seniors ou de fins de carrière parmi leurs effectifs afin d’attester de leur contribution à une politique en faveur de l’emploi des seniors, le plan “1 senior 1 solution” sur le même modèle qu’“1 jeune 1 solution” afin de booster l’embauche de cette catégorie de travailleurs grâce à la mise en place d’incitations financières, ou encore le CDI senior permettant aux seniors en fin de carrière de remplir les conditions pour prendre leur retraite à taux plein, en effectuant des missions dans une entreprise qui bénéficierait en contrepartie d’une exonération de cotisations familiales.
Seniors : avoir envie de continuer à travailler
Dans le cadre d’un “nouveau pacte de la vie au travail”, syndicats et patronat ont été invités par le gouvernement à négocier ensemble, notamment sur le sujet de l’emploi des seniors. Alors que le projet du Président de la République est de faire monter le taux d’emploi des 60-64 ans, particulièrement touchés par le chômage, de 36% à 65% d’ici 2030, l’enjeu est double : il faut certes inciter les entreprises, mais aussi mettre les travailleurs dans des conditions qui les incitent à vouloir continuer de travailler et à rester motivés.
La façon qu’ont les seniors de rester engagés dans leur travail contribue à la façon dont on les perçoit. Toutefois, comment les inciter à rester en emploi à alors que de nombreux dispositifs leur permettent, insidieusement, de pouvoir quitter l’emploi avant la retraite ? C’est tout le débat autour du chômage en fin de carrière, et de sa présumée instrumentalisation comme retraite précoce. Alors que le ministre de l’Economie se dit “favorable à l’alignement de la durée indemnisation chômage des plus de 55 ans, qui est de 27 mois, sur celle des autres chômeurs, qui est de 18 mois” afin de réduire le risque précédemment évoqué, une telle déclaration a fracturé la classe politique. En effet, les seniors bénéficient aujourd’hui d’une durée d’indemnisation du chômage plus longue que les salariés de moins de 55 ans, compte tenu de leur plus grande difficulté à revenir vers l’emploi. Toutefois, il reste pertinent de s’interroger sur les potentiels effets pervers d’un tel dispositif spécifique.
Ainsi, l’objectif de plein emploi du gouvernement, qui passe en partie par une hausse du taux d’emploi des seniors, va nécessiter des efforts de la part des entreprises pour maintenir ou faire revenir à l’emploi ces travailleurs. Toutefois, la capacité des employeurs à préserver et à prendre en considération l’état de santé inhérent au vieillissement et à certaines professions, ainsi que la mise en place d’une offre de formations et de perspectives d’évolution passé 50 ans sont des critères essentiels au maintien de la productivité des seniors, ainsi qu’à leur niveau de motivation à accomplir de façon engagée leur deuxième partie voire fin de carrière. En somme, il faudra conjuguer dispositifs étatiques incitatifs, volontarisme de la part des entreprises, et motivation des travailleurs, à l’heure où le marché du travail est confronté à un vieillissement de sa population active.
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