Entrepreneuriat : les mêmes chances pour tous ?
L’engouement pour l’entrepreneuriat en France est indéniable : 1 072 000 entreprises ont été créées en 2022, soit 21 000 de plus qu’en 2021. Mais l’accès équitable à cette voie reste une question cruciale : malgré les nombreux dispositifs d’accompagnement et les initiatives visant à rendre l’entrepreneuriat plus accessible, des inégalités persistent, notamment pour certaines catégories de travailleurs. Un espoir : avec la volonté individuelle et le soutien adéquat, l’entrepreneuriat peut devenir une réalité pour tous !
L’accès à l’entrepreneuriat : une question de volonté ?
Pour réussir à entreprendre, la volonté individuelle est un facteur déterminant. De fait, au-delà d’obstacles externes, la motivation, la résilience et la détermination jouent un rôle crucial. Ainsi, “l’entrepreneur est celui qui a accepté l’échec comme une possibilité, et comme une source indispensable d’apprentissage”, indique Marc Menasé, fondateur du fonds d’investissement Founders Future. Il dit aussi que “l’erreur n’est pas une fatalité, c’est l’occasion de se relever plus fort, avec de nouvelles idées et de nouvelles compétences”. Lorsque l’on développe son entreprise, il est également primordial de bien s’entourer, et comprendre que ce n’est pas grave de se “planter” d’associé, comme en témoigne Pauline Laigneau dans son podcast.
Mais tous les “intentionnistes” ne sont pas logés à la même enseigne. D’après l’Hémicycle, “L’accès à la création d’entreprise est marqué par de profondes inégalités révélatrices des fractures sociales, culturelles et territoriales qui fragilisent le pays”. De fait, toutes les catégories de travailleurs n’ont pas les mêmes chances d’accès à l’entrepreneuriat, et font encore face à des obstacles majeurs. Parmi eux : les défis financiers, le manque d’accès aux ressources et à un réseau, un défaut de confiance en soi, les barrières réglementaires et culturelles, des préjugés et stéréotypes, etc.
C’est notamment le cas des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, bien que ce ne soit pas l’envie qui manque : 12% des habitants de QPV affichent l’intention d’entreprendre, mais ils ne représentent que 2 à 3% des entrepreneurs. De plus, l’argent investi au départ est plus faible que la moyenne – 27 900 € contre 44 500 € en moyenne – et leur accès aux banques est plus compliqué. A cela s’ajoutent en général un bagage académique plus faible, un éloignement du marché de l’emploi, ainsi qu’une difficulté à dépasser le marché local, qui freinent la création de projet.
Les femmes sont également moins entrepreneuses : elles sont à l’origine d’un tiers seulement des créations d’entreprises, une proportion qui stagne depuis 10 ans, et qui se focalise sur des secteurs dits “féminins” de service à la personne ou dans l’action sociale. Parmi les freins à l’entrepreneuriat : une difficile conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, une plus grande prudence – et donc une plus faible tendance à faire grossir son entreprise -, ou encore une moindre confiance en soi, qualité pourtant essentielle à la création d’entreprise alors qu’on les penserait sorties du salariat pour trouver une plus grande flexibilité dans l’organisation des horaires de travail, elles ont en réalité beaucoup de mal à concilier la vie professionnelle et la vie personnelle. Les femmes ont également tendance à moins avoir confiance en elles, qualité pourtant essentielle à la création d’entreprise. Elles font par ailleurs preuve d’excès de prudence sur les risques financiers, sont moins ambitieuses, et ont donc moins tendance à faire grossir leur entreprise.
On peut aussi penser aux jeunes, aux minorités ethniques, aux moins diplômés, aux personnes porteuses de handicap et aux habitants des zones rurales. Dans les faits, aujourd’hui, “les porteurs de projet les mieux financés sont souvent portés par des étudiants issus d’écoles de commerce et qui viennent plutôt de milieux socio-économiques favorisés”, selon Yves Vilaginés, journaliste spécialisé sur les questions relatives à l’entrepreneuriat.
Il faut casser cette image très médiatisée de l’entrepreneuriat comme voie d’épanouissement professionnel et personnel pour tous, avec les réussites entrepreneuriales de “flamboyantes start-up” qui illustrent le propos, et apporter une vision plus nuancée, plus réaliste de la situation.
Une multiplication des aides et mesures de soutien
Heureusement, il est moins difficile d’entreprendre aujourd’hui qu’il y a 20 ans. De nombreux dispositifs institutionnels, associatifs et des initiatives visant à soutenir les entrepreneurs ont émergé.
Ainsi, les incubateurs et accélérateurs de startups comme Station F fournissent un espace et des outils pour développer les idées des créateurs débutants. La culture entrepreneuriale se développe de plus dès l’école, avec le développement de formations, de cours, voire de mastères spécialisés sur la création d’entreprise et l’innovation, qui abordent les sujets tels que gérer le stress dans un milieu hostile, améliorer la prise de parole en public, apprendre à se projeter, ne pas ressentir de syndrome de l’imposteur, etc. D’autres événements sensibilisent dans ce sens également, comme le le BigTour ou la “Tournée Entrepreneuriat Pour Tous”.
Parmi ces mesures de soutien et d’accompagnement, certaines visent directement certains publics. Par exemple, depuis 2019, Bpifrance est chargée d’une mission de renforcement de l’entrepreneuriat dans les quartiers populaires, en faisant notamment connaître les dispositifs de financement et d’accompagnement qui existent. Le fonds SENS quant à lui permet à des porteurs de projets issus des quartiers prioritaires de disposer d’un prêt bancaire sans caution ni garantie. De plus, les entreprises implantées dans les zones de QPV bénéficient notamment d’avantages fiscaux. Ainsi, en 2022, 120 000 entreprises ont été créées en Zones de revitalisation rurale (ZRR) et près de 295 000 en Zones d’aide à finalité régionale (AFR).
Par ailleurs, pour faire face aux difficultés que rencontrent les femmes dans la création d’entreprise, de nombreuses initiatives et réseaux ont émergé et proposent accompagnement et réflexion collective : c’est le cas par exemple des réseaux Willa, Les Premières et Bouge ta Boite, d’Action’elles, de l’association Empow’Her ou du réseau Initiative France, qui a lancé le programme “Vis ma vie d’entrepreneuse”. Ce programme permet à des porteuses de projets de passer une journée auprès d’une entrepreneuse confirmée, en leur posant toutes leurs questions sans langue de bois. Des associations telles que Force Femmes agissent pour aider à l’entrepreneuriat des femmes de plus de 45 ans.
Il est aussi nécessaire d’inculquer cette culture entrepreneuriale dès le plus jeune âge, dans le sens d’initiatives déjà lancées auprès des plus jeunes, comme l’initiative Enreprendre pour Apprendre ou Pépite France (= pôle étudiant pour l’innovation le transfert et l’entrepreneuriat), ou encore le mouvement “Junior-Entreprises” au sein des écoles. Le Moovjee quant à lui accompagne depuis 2009 les jeunes de 18 à 30 ans dans la création et la reprise d’entreprise. Un accompagnement dont la clé de voûte est le mentorat, fondé sur “un engagement fort de confiance dans la jeunesse, de bienveillance et de partage” selon ses fondateurs, Bénédicte Sanson et Dominique Restino. On peut encore penser à l’association 100 000 entrepreneurs ou les Escales AJE qui font témoigner des entrepreneurs dans les écoles, et permettent ainsi de rendre concret et accessible l’entrepreneuriat.
Le développement de réseaux, programmes, concours et associations témoigne bien que l’entrepreneuriat est plus valorisé aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans. Ces initiatives permettent aux entrepreneurs qui n’ont pas toujours un réseau personnel ou les ressources pour s’en sortir seuls, de connaître les aides, les prêts auxquels ils ont droit, et d’être accompagnés dans la préparation d’un business plan, l’affinage d’une stratégie, mais aussi d’être recommandés et mis en relation. Mettre en place des politiques et programmes adaptés contribue à créer un environnement où chacun, indifféremment de sa catégorie sociale, son origine ou son revenu de départ, peut réaliser ses aspirations entrepreneuriales. Tout le monde n’a pas l’âme d’entrepreneur, et tout le monde ne souhaite pas entreprendre. Mais l’entrepreneuriat doit être accessible à ceux qui souhaitent emprunter ce chemin !
>> Egalement à lire sur le site de la Fondation Travailler autrement : 3 questions à… Marie Eloy, présidente de Bouge ta Boite, et Bénédicte Sanson, co-fondatrice du Moovjee, Demain, tous entrepreneurs ?, Les talents externes nous mettent au défi !