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3 questions à… Saïd Hammouche, président-fondateur du cabinet Mozaïk RH et de la Fondation Mozaïk

Entrepreneur social, Saïd Hammouche crée fin 2007 le cabinet Mozaïk RH, leader du recrutement des diplômés de la diversité et devient lauréat Ashoka, réseau international d’entrepreneurs sociaux. Il lance fin 2015 avec plusieurs dirigeants la Fondation Mozaïk. Son ambition : impulser un changement systémique pour que 100% des employeurs pratiquent un recrutement inclusif. Dans cette interview, il répond aux 3 questions de la Fondation Travailler autrement sur l’inclusion au travail.

1 – Votre cabinet de recrutement a pour ambition de rapprocher de l’emploi des jeunes diplômés issus des quartiers prioritaires de la ville. Comment la logique de réseau et de cooptation qui peut exister dans le monde professionnel peut-elle être un frein majeur à l’égalité des chances, notamment pour ces jeunes ?

A l’heure actuelle, certaines entreprises, à la recherche d’un candidat, ne publient même pas d’offres d’emploi accessibles au public. Elles se contentent du bouche-à-oreille en faisant passer le mot en interne. Ce procédé exclut de fait des profils qui n’ont pas la chance de concourir alors même qu’ils sont compétents. Quand vous avez grandi dans des milieux sociaux dans lesquels les parents ou l’entourage n’ont ni contacts ni réseaux professionnels susceptibles de vous faciliter l’obtention d’un emploi ou d’un stage, il est beaucoup plus difficile de se faire identifier par les recruteurs. Conséquence, l’autocensure : paru en mars dernier, notre sondage CSA avec Sanofi indique que 73% des 18-24 se sont déjà auto-censurés dans l’accès à l’emploi ! Et le clonisme constitue un danger pour notre cohésion sociale comme pour les entreprises. Avoir des équipes qui se ressemblent et pensent de la même manière peut paraître simple dans l’intégration : pure illusion ! Pour être agile, anticiper les changements, il est vital d’intégrer différents points de vue et parcours dans les équipes. Il faut donc diversifier au maximum les canaux et travailler autrement ses recrutements.

2 – Vous défendez l’idée de mesurer la diversité ethnique et sociale au sein des entreprises pour faire bouger les lignes. Comment œuvrer pour l’inclusion sans pour autant stigmatiser le public cible ?

Comment régler une inégalité en l’invisibilisant ? La France adore compter ! Outre la place des femmes, celle des personnes en situation de handicap, des seniors etc. Mais, étrangement, mesurer ce qu’on appelle la diversité socioculturelle dans les entreprises ou la fonction publique serait « impossible », « stigmatisant » voire « dangereux ». Agir pour la mesure, c’est au contraire agir pour l’inclusion. Parce qu’avant d’administrer le traitement, il est impératif de prendre la température. Contrairement à certaines idées reçues et tenaces, il est tout à fait possible et légal en France d’avoir un état des lieux de l’organisation de son entreprise au regard de sa composition sociale ou culturelle. Par ailleurs, il ne s’agit pas de compter pour compter. Plus que les chiffres à un instant T, ce qui prime c’est de voir où sont les axes de progression. La mesure n’est pas une fin en soi mais un instrument au service d’une stratégie plus globale qui doit permettre à celles et ceux qui sont mécaniquement mis de côté d’apparaître sur les radars des recruteurs. 

3 – Le taux d’emploi dans les quartiers populaires est de 20 points inférieurs à la moyenne nationale, il y a urgence à agir. Avez-vous observé un engagement croissant de la part des entreprises en la matière depuis la création de votre cabinet ou craignez-vous à l’inverse le développement d’une forme de “social washing” ?

Quand nous avons créé Mozaïk RH il y a 16 ans, diversité et inclusion n’étaient pas vraiment à l’agenda des décideurs publics comme privés. Aujourd’hui, la prise de conscience est là. Notre activité en est, quelque part, une illustration : nous avons contribué au placement dans l’emploi de 20 000 personnes ; nous avons accompagné près de 80% des entreprises du CAC 40. Evidemment nous ne sommes pas dupes. Des vents contraires, en Europe mais aussi aux Etats-Unis, soufflent et font craindre un retour en arrière sur ces questions… Confrontées à de multiples défis numériques, écologiques et démographiques, les entreprises peuvent être tentées de mettre l’inclusion économique en « mode pause ». D’où notre engagement permanent. Exemple : notre dernier programme Ambition qui va permettre en 3 ans à 3000 étudiants issus des quartiers populaires et/ou boursiers d’être accompagnés dès l’université vers l’emploi avec le soutien d’entreprises engagées. Le tout dans le cadre d’un contrat à impact. Comptez sur nous pour ne pas baisser la garde, bien au contraire…

 

> Saïd Hammouche est aussi membre du CESE, co-fondateur de L’Ascenseur (premier tiers-lieu collaboratif qui réunit une vingtaine d’associations, fondations, start-ups sociales, autour de l’entrepreneuriat et l’égalité des chances), co-auteur de « Chronique de la discrimination ordinaire », membre du Conseil national de la refondation (CNR) depuis 2022 et Chevalier de l’Ordre National du Mérite.

> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Entrepreneuriat : les mêmes chances pour tous ?Prendre soin des salariés aidants : un enjeu stratégique et humain pour les entreprises