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Travail ou loisir : faut-il choisir ? 

Alors que le travail a toujours occupé une place structurante dans la vie des individus, l’augmentation progressive du temps libre disponible et la multiplication des revendications pour un meilleur équilibre des temps de vie interroge sur un bouleversement du rapport au travail. Assistons-nous à une remise en cause de la centralité du travail dans la vie et à l’avènement d’une société de loisirs ? 

 

La fin du travail, vraiment ? 

Alors que le temps de travail occupait 40% du temps de vie au début du XXe siècle, il ne représenterait aujourd’hui plus que 14%. En effet, le temps de travail hebdomadaire a décru de 10 heures chez les citadins entre 1974 et 2010, tandis que le temps consacré aux loisirs a augmenté de 9 heures par semaine sur la même période. La généralisation des 35 heures, la création des RTT et les cinq semaines de congés payés par an ont réorganisé la vie des individus, ne tournant plus seulement autour du travail et permettant de conquérir du temps libre. 

De ce fait, les mentalités évoluent : la part des Français qui disent que le travail est “très important” dans leur vie est passé de 60% en 1990 à 21% en 2022. De la même façon, 62% des salariés affirmaient préférer travailler plus pour gagner plus au détriment du temps libre en 2008, tendance qui s’est complètement inversée post-covid en 2022 avec 61% de salariés qui préfèreraient plutôt moins travailler. Pour autant, il serait erroné d’avancer que le travail perd de sa centralité quand 86% des salariés français continuent de répondre que celui-ci occupe une place “importante” dans leur vie. 

D’un côté, la réduction progressive du temps de travail et l’automatisation des tâches domestiques ont permis de dégager plus de temps libre. De l’autre, l’amélioration du confort de la vie quotidienne liée au développement de la société de consommation et la démocratisation de l’accès aux loisirs ont forgé une sacralisation du temps libre au-delà même de la notion de repos.  

Alors qu’on n’a jamais aussi peu travaillé et eu autant de temps de loisir, l’heure est à l’appel au ralentissement. La crise sanitaire et la réforme des retraites ont cristallisé les revendications pour plus d’équilibre entre les temps de vie, pendant la carrière et la période post-travail. De telles revendications traduisent moins une aversion au travail qu’elles ne portent la marque d’une société qui souhaite « remettre” le travail “à sa juste place”. 

 

Le nécessaire rééquilibrage des temps de vie 

Les employeurs, des entreprises à la fonction publique, tentent d’apporter des réponses à ces nouvelles aspirations. A cet effet, les organisations proposent de plus en plus d’avantages non salariaux pour attirer les candidats et fidéliser les collaborateurs sur le terrain de l’équilibre vie pro – vie perso. Télétravail à la carte, flexibilité dans les horaires, semaines de congés supplémentaires, compte épargne temps, semaine de 4 jours… les politiques RH sont nombreuses et constituent un puissant levier de satisfaction des salariés. Et en effet, 70% de ceux qui souhaitent rester dans leur entreprise actuelle sont motivés par la garantie d’un bon équilibre des temps de vie. 

Alors que le télétravail s’est fortement démocratisé depuis le confinement dans les professions qui le permettent, il est particulièrement plébiscité par les salariés qui en bénéficient. En parallèle, la semaine de 4 jours ou en 4 jours tente de s’imposer comme l’un des modèles d’organisation alternative du temps de travail pour les professions non éligibles au travail à distance. 

Au-delà, des dispositifs de réorganisation et de flexibilisation du temps de travail, le monde du loisir s’invite de plus en plus dans les organisations. Entre prestations sportives, bien-être et afterworks, les cultures d’entreprise évoluent et se veulent parfois créatrices de loisirs 

Si l’ensemble de ces mesures expérimentées ou instaurées au sein des organisations ont vocation à promouvoir l’existence d’une vie en dehors du travail, elles peuvent aussi créer une porosité contre-productive entre le temps de travail et le temps privé. Par exemple, le télétravail peut autant permettre de flexibiliser son organisation personnelle qu’engendrer un risque d’hyperconnexion. A cet égard, le droit à la déconnexion doit s’exercer en responsabilité partagée entre une politique managériale incitative et un salarié sensibilisé aux risques. Il convient par ailleurs de questionner l’impact de l’immixtion du loisir au travail sur l’équilibre des salariés. 

Enfin, ces aspirations nouvelles poussent les organisations à revoir leurs méthodes managériales, basées sur plus de confiance, d’autonomie, d’optimisation des temps de travail, ou encore la remise en cause du présentéisme. 

 

Ainsi, le temps de travail et le temps de loisir sont des temps de vie complémentaires que les salariés tendent à équilibrer. Si le loisir a pris une place de choix dans la vie des Français, le travail reste à bien des égards une institution structurante et émancipatrice au carrefour d’une exigence sociétale, d’une nature humaine, d’une nécessité économique et d’un besoin financier. Le monde du travail s’adapte progressivement à ces aspirations jusqu’à en faire une véritable politique d’attractivité et de fidélisation. Mais face aux impératifs de chaque profession, il convient de trouver des solutions pour tous, différenciées certes, afin d’éviter la fracture sociale.