Actualité
Infos

La semaine de 4 jours : compression ou réorganisation du temps de travail?

Alors que le premier ministre Gabriel Attal a réaffirmé en conférence de presse le jeudi 20 juin son souhait de généraliser la semaine de travail de 4 jours, l’Association des Journalistes de l’Action Sociale (AJIS) a organisé ce mardi 18 juin 2024 une table ronde pour nous aider à mieux comprendre le sujet, en présence de Pauline Grimaud, docteure en sociologie et chercheuse postdoctorale sur le sujet, Lionel Vuidard, avocat associé en droit social et Maxime Gourlet, directeur des ressources humaines d’Acorus, entreprise française qui expérimente la semaine de 4 jours. La Fondation Travailler Autrement y a assisté, et vous présente ici les enjeux de la discussion.

La semaine en 4 jours semble être plébiscitée par les français : 77% y seraient favorables. Cette popularité en a fait un sujet presque incontournable dans le débat public, et se met en place de plus en plus vite, le nombre d’accords professionnels la mentionnant ayant été multiplié par trois depuis 2019, et ce avec ou sans réduction de salaire prévue.

 

La semaine en 4 jours comme outil de réorganisation du travail

La semaine de 4 jours, bien qu’elle soit revenue récemment dans le débat public, est en réalité une revendication de longue date, portée notamment par l’eurodéputé socialiste Pierre Larrouturou. Cependant, il s’agit bien de deux visions différentes : si celui-ci défend une réduction du temps de travail à 32h par semaine, dans une optique de partage du temps de travail (avec plusieurs personnes au même poste) pour faire baisser le chômage, l’essentiel des accords signés aujourd’hui ne correspondent pas à ce modèle (c’est notamment une des raisons de l’opposition de la CGT). En effet, la semaine de 4 jours est aujourd’hui avant tout la continuité d’un mouvement de flexibilisation du temps de travail et d’autonomisation des salariés, à la faveur notamment de la généralisation du télétravail pendant la crise du Covid-19. C’est en tous cas une des conclusions à laquelle a abouti Pauline Grimaud, participante de cette conférence, lors de ses recherches portant sur tous les accords d’entreprises signés depuis 2019 mentionnant la semaine de 4 jours. 

En effet, beaucoup d’entreprises mettent en place cette semaine comme alternative au télétravail, à la fois dans les secteurs où celui-ci existe déjà (notamment les services à forte valeur ajoutée), et dans ceux où le télétravail est plus difficile (notamment les services au contact direct, comme le soin et l’industrie du bâtiment). De plus, ces entreprises sont souvent déjà concernées par des horaires atypiques, tardifs ou discontinus. Cette nouvelle organisation peut être une contrepartie d’un travail dominical, par exemple. Enfin, la semaine de 4 jours permet à certaines entreprises d’adapter leur activité en fonction de la demande, comme pour les activités saisonnières. Ainsi, le temps de travail devient une variable d’ajustement, se rapprochant des propositions de l’annualisation du décompte du temps de travail. 

 

Semaine de ou en quatre jours : petit décryptage

De plus, il est important de distinguer la semaine de 4 jours et la semaine en quatre jours, c’est-à-dire avec ou sans diminution du temps de travail. En effet, 90% des accords signés ne prévoient pas de modification du temps de travail effectif, mais simplement une compression, et donc des journées plus longues. Parmi les 10% des accords incluant une diminution du temps de travail, il demeure toujours au-delà de 32h par semaine, et est réduit en-deçà de 35 heures pour seulement la moitié d’entre elles, comme c’est le cas pour l’entreprise LDLC dont l’expérience, quoique très médiatisée, n’est pas forcément représentative. Or, un rapide calcul nous permet de comprendre qu’un salarié travaillant 35 heures sur 4 jours verra ses journées de travail effectif durer au moins 8h45, soit parfois 10h30 en comptant les pauses, ce qui peut poser un risque de fatigue pour les employés. De plus, pour toute semaine de 4 jours dépassant les 35 heures, Lionel Vuidard rappelle que celles-ci risquent de frôler la limite légale d’un maximum de 10 heures de travail par jour. 

Une dernière variable dont l’importance est soulevée par Pauline Guiraud est la charge de travail. Certains accords mentionnent explicitement que celle-ci ne sera pas affectée par ce changement de rythme, même si le temps de travail, lui, diminue. Il s’agit en somme de faire autant en moins de temps, au risque de dégrader les conditions de travail. Les risques pour la santé physique (fatigue, mise à l’épreuve du corps) et mentale (stress, dégradation du lien social, équilibre vie personnelle et professionnelle plus compliqué) s’en trouvent accrus.  Pour contrer cela, certaines entreprises mettent en place des cellules de veille de santé et bien-être au travail, mais ces mesures ne sont pas systématiques. 

 

Le cas de l’entreprise Acorus : semaine de 4 jours et diminution du temps de travail

Le cas de l’entreprise Acorus est cependant assez différent. Entreprise française de BTP spécialisée dans la rénovation, ses salariés se sont vus proposer la mise en place de la semaine de 4 jours, avec une réduction du temps de travail de 39 à 35 heures par semaine, sans baisse de rémunération. Cela représente une augmentation de la journée de travail de 45 minutes, et la possibilité pour les salariés de choisir leur jour de repos supplémentaire. Après un sondage favorable et une phase de tests, Maxime Gourlet, directeur des ressources humaines, a décidé d’étendre l’expérimentation jusqu’en août 2025. Le cas de l’industrie de la construction et de la rénovation est particulier : la semaine de 4 jours y est assez commune, et la difficulté à recruter nécessite pour les entreprises d’être particulièrement attractives. De plus, 70% des employés sont ouvriers : techniciens, plombiers, électriciens… ce qui implique une impossibilité du télétravail, mais également un travail nécessitant beaucoup de temps de transport, des horaires atypiques, et un risque d’accident du travail. 

Pour Maxime Gourlet, le bilan est positif : il a en effet constaté une baisse drastique du turnover, de l’accidentologie et de l’absentéisme (le nombre d’absence de courte durée a été divisé par cinq). Consciente cependant que les salariés sont confrontés à des journées plus longues,  l’entreprise a décidé d’administrer un questionnaire sur la qualité de vie au travail deux fois par an pour s’assurer de porter une attention particulière aux risques pour la santé. 

 

Ainsi, la dénomination de “semaine de 4 jours” englobe de multiples modalités d’organisation du temps de travail. Elle peut répondre à des aspirations d’autonomie, de flexibilité et d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.  Cependant, elle n’est pas sans risque, en particulier quand le travail s’intensifie. Les entreprises souhaitant la mettre en place ont donc un devoir de dialogue avec les salariés, de clarté sur les façons de mettre en place ce changement, ainsi que de vigilance sur les conditions de travail si elles souhaitent sauter le pas de la semaine de 4 jours. 

 

> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Travail ou loisir : faut-il choisir ?, La semaine de 4 jours : oui, mais pas n’importe comment !, La semaine de quatre jours : un modèle gagnant-gagnant ?, « Semaine de 4 jours : le temps du monde d’après »