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Les métiers du loisir : notre temps libre, leur temps de travail

Moniteur de surf, serveur, guide culturel ou réceptionniste d’hôtel… Ces métiers du loisir présentent une particularité : celle de permettre par leur travail de répondre aux aspirations de loisir des autres. 

L’industrie des loisirs : un secteur d’activité récent en pleine expansion

A mesure que le temps libre s’amplifie, la participation à des activités d’animation, de culture ou de sport grandit également. Historiquement, la consommation de services de loisirs débute au XIXème siècle, qui grâce au développement du chemin de fer voit  l’ouverture d’hôtels et casinos. En parallèle, les réglementations successives sur la diminution du temps de travail, puis en 1936 la création des congés payés ouvrent la voie au tourisme mais aussi à la généralisation du cinéma et des cabarets. Ce mouvement se poursuit à la suite de la Seconde Guerre mondiale, mais il faut attendre la fin des Trente Glorieuses et le choc de 1974 pour qu’advienne véritablement la massification de l’industrie des loisirs. 

Depuis 50 ans, non seulement le temps libre des Français n’a cessé de progresser (le temps moyen consacré aux activités récréatives a été multiplié par quatre depuis 1974) mais il a également changé de nature. La centralité des institutions collectives comme la famille ou le culte religieux s’est érodée, si bien que la part du temps qui leur était consacrée a également diminuée. Le loisirs est devenu une activité individuelle, et s’est tourné vers la consommation de biens et services. Ainsi, d’après des données de l’INSEE, les dépenses des ménages en communication, loisirs et culture est passé de 3 % du budget en 1960 à 10 % en 2019. L’offre est aussi plus diversifiée, de nouveaux loisirs émergent à un rythme soutenu.  Les structures dites de “loisirs indoors” en sont un exemple : d’après une étude Xerfi, le secteur connaît un innovation très forte, (comme illustrée par le développement de concepts récents comme les escape games, laser games, ou karaoke) poussée par une demande toujours plus importante. Conséquence naturelle de cette expansion, les métiers concernés, y compris dans la création de ces nouveaux loisirs sportifs, créatifs ou de consommation, n’ont jamais été aussi nombreux.  

 

Des métiers aux obligations temporelles spécifiques

Ainsi, en 2020, selon l’ACOSS, le secteur du tourisme (y compris hôtellerie-restauration et animation socio-culturelle) employait pas moins de 1,29 million de salariés. Ces secteurs se caractérisent par leur nécessité d’adapter leur offre à la disponibilité de leur clientèle et donc de fournir un service pendant les moments de loisirs. Or, s’il existe des métiers indirectement reliés au service (les métiers de la création, notamment), les services à la personne nécessitent un contact direct avec le client. Dans le secteur de l’animation socioculturelle, par exemple, c’est le cas de la majorité des emplois : les guides, éducateurs sportifs, moniteurs de colonie de vacances… Cette nécessité de faire correspondre les temps de travail au temps de loisir classique implique que les salariés se trouvent souvent confrontés à un décalage temporel. A l’échelle de la journée tout d’abord, pour fournir un service après la journée de travail standard. Une étude de la DARES est à cet égard éclairante : celle-ci révèle que les travailleurs de l’hôtellerie et restauration sont 44% à travailler le soir, et 12% la nuit. Le secteur de la restauration connaît également beaucoup d’horaires discontinus pour assurer les services durant les repas. A l’échelle de la semaine, ensuite, pour assurer le service le week-end (similairement, ils sont 81% à travailler le samedi).

 

Le cas spécifique du travail saisonnier 

A l’échelle de l’année, ce décalage se traduit par des emplois permettant d’ offrir des services durant les temps habituels de congé où la demande est plus forte (l’été mais aussi l’hiver dans les stations de ski par exemple). Cela est caractérisé par un recours important aux emplois saisonniers. Le secteur de l’animation socioculturelle est particulièrement concerné (environ 37 % des postes de salariés selon l’INSEE). Or, ces emplois présentent des caractéristiques particulières se surajoutant aux contraintes temporelles. En premier lieu, ils impliquent souvent une précarité de l’emploi, avec des CDD concernant plus d’un emploi sur deux dans les métiers du sport et de l’animation, par exemple. Ensuite, beaucoup rencontrent des difficultés à trouver un logement pour la saison. Enfin, l’atypicité temporelle est parfois perçue comme un obstacle à des accomplissements professionnels ou personnels, comme révélé par Christophe Guibert, sociologue, enquêtant sur les travailleurs saisonniers en station balnéaire. Il rapporte les propos de Quentin : “Je me dis maintenant j’ai 29 ans. C’est sérieux d’arrêter. Les saisons c’est vraiment très bien. Mais je commence à penser à des trucs : avoir un bateau, une femme, des enfants, après ça devient compliqué.” 

Ces difficultés contribuent à expliquer la difficulté de recrutement dans les emplois saisonniers : en 2022, c’était 65 000 postes qui étaient restés vacants. Comme l’explique Nabila Lamharzi Mely, spécialiste du tourisme social dans une tribune au Monde : “Les jeunes saisonniers cherchent aujourd’hui des emplois qui correspondent à leurs valeurs. Cela implique de meilleures conditions de travail, évidemment, mais aussi des perspectives d’évolution de carrière et, surtout, un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ce qui n’est pas le fort de cette industrie à l’heure actuelle.”

 

Un flou entre temps de loisir et temps de travail

Si cela implique des contraintes temporelles, les secteurs du loisir représentent aussi une occasion pour les travailleurs de faire de leur passion un métier. C’est le cas de Pierre, sauveteur en mer saisonnier, qui l’explique ainsi : “Pour moi, même si c’est la saison, même si on travaille, je veux que ça reste quand même des vacances. […] Plus que le salaire, c’est vraiment la passion qui explique mon choix : être à la plage et être utile. 

De même, de nombreux travailleurs de ce secteur affirment tirer satisfaction à occuper le temps libre de leurs clients, à leur “donner du bonheur”. Ce flou entre loisir et travail n’est pas vécu que sur le mode de la contrainte, mais aussi comme une possibilité d’épanouissement. Cela contribue également à expliquer l’attractivité de ce secteur d’emploi. Ainsi, d’après une étude IPSOS pour Régions de France et Alliance France Tourisme, 73% des jeunes français ont une vision positive des métiers de l’animation et du loisir, et ils sont nombreux à y associer le voyage et les vacances.

La particularité de ces métiers nous permet ainsi de remettre en question la dichotomie entre temps de travail et temps de loisir. L’interdépendance des temporalités y est illustrée : le loisir des uns est permis par le travail des autres.

 

> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Travail ou loisir : faut-il choisir ?,