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Quel équilibre des temps de vie pour les travailleurs indépendants ?

Le nombre de travailleurs indépendants explose en France. Micro-entrepreneurs, freelances, entrepreneurs, ils étaient 4,3 millions fin 2022. De fait, la quête de flexibilité et d’autonomie détourne de plus en plus de personnes du salariat. Mais quand l’unité de lieu et de temps n’est pas toujours définie, il peut rapidement devenir difficile de délimiter une frontière précise entre vie professionnelle et vie personnelle. Alors, comment trouver un équilibre pour se concentrer sur son travail et se dégager du temps libre ?

Travail indépendant : une porosité des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle

De plus en plus de personnes quittent le salariat pour se mettre à leur compte. Les causes sont multiples : ne plus être managé ou manager, développer ses propres projets, retrouver une forme de liberté, travailler depuis chez soi – et réduire son temps de transport – ou depuis n’importe où (comme les digital nomads). La motivation principale est l’envie d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et d’une maîtrise de ses temps de vie. Par exemple, un indépendant peut travailler très tôt le matin et très tard le soir, pour pouvoir emmener ses enfants à l’école le matin et les aider à faire leurs devoirs en fin de journée.

Si la grande majorité des indépendants plébiscitent cette liberté d’organisation (re)trouvée, la frontière peut devenir floue. Comment ne pas travailler le soir devant la télé si son ordinateur est dans la pièce ? Comment ne pas penser au travail en rentrant chez soi si on vit au-dessus de son magasin ? Comment rester concentré sur son travail quand on entend le “bip” de la machine à laver ? Comment passer du temps en famille le week-end quand on est appelé par son client ? Comment partir en vacances quand personne d’autre ne peut s’occuper des expéditions de ses ventes en ligne ? On parle d’une hyperconnexion numérique et technique.

Par ailleurs, les contraintes du métier et des saisons (l’été par exemple pour les animateurs, le temps des récoltes pour les agriculteurs ou encore Noël pour les expéditions) obligent les indépendants à adapter leur emploi du temps. Leur charge de travail est parfois irrégulière et imprévisible : un consultant peut être amené à travailler de longues heures pour respecter les échéances, une ébéniste peut être sollicitée le soir ou le week-end pour terminer un projet urgent. Et contrairement aux salariés, les indépendants ne bénéficient pas d’un revenu fixe : celui-ci dépend directement de leur activité. Cette instabilité financière peut inciter à accepter plus de missions pour garantir un revenu suffisant, augmentant ainsi la charge de travail.

La ligne est poreuse entre travail et vie personnelle, rendant compliquée la planification d’activités personnelles (voyages, loisirs, temps de repos et de famille, sorties), quand son travail est imprévisible.

 

Entre pression et passion, une difficulté à s’imposer des limites qui impacte la productivité

Pour beaucoup, travail = passion, donc travailler sur son temps libre n’est pas nécessairement néfaste. Mais c’est justement lorsqu’on est si engagé et immergé que l’on peut avoir du mal à s’imposer des limites, menant à l’épuisement et à l’immersion des problématiques liées au travail dans sa vie privée. Nul besoin d’ailleurs d’être un indépendant passionné pour ne plus compter ses heures de travail : les auto-entrepreneurs, comme les livreurs, subissent très souvent des “cadences infernales”, mais au même titre qu’un cadre salarié.

La surcharge de travail peut rapidement engendrer des inconvénients physiques et mentaux : épuisement, stress, baisse de la productivité, perte du lien social, burn-out. Une étude menée par l’université de Stanford a prouvé que la productivité diminuait avec la charge de travail, et qu’au-delà de 40 heures de travail par semaine, la santé des travailleurs se dégradait plus vite. Or, en 2023, 43% des indépendants travaillaient plus de 50 heures par semaine. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut travailler efficacement plus de 10 heures par jour, ou qu’une longue journée de travail est dangereuse pour la santé. Mais c’est un rythme difficile à maintenir, voire risqué, sur le long-terme.

Il est ainsi primordial de se protéger, et de se dégager du temps libre, même lorsqu’on est passionné. Mais se détacher de ses habitudes de travail n’est pas facile dans une société qui pense encore souvent que travailler de longues heures sans limite est nécessaire pour le succès. D’autant plus lorsque “l’articulation des temps de vie professionnelle – personnelle des travailleurs indépendants […] n’est pas encadrée par des dispositions légales”, comme le rappelle un avis du CESE. Ainsi, comment aller jusqu’au bout de son congé maternité ou poser un arrêt de travail lorsque l’interruption de son activité peut signifier baisse du chiffre d’affaires et de sa clientèle ?

 

Quelles méthodes pour un meilleur équilibre des temps de vie ?

Tous les indépendants ne peuvent simplement réduire leur temps de travail : l’agriculteur ne peut pas faire accélérer la machine qui trait ses vaches, tout comme le moniteur de surf ne peut raccourcir la session d’une heure payée par le client ou encore l’administrateur réseau qui ne peut pas aller plus vite que ses logiciels. Mais il est possible de recourir à différentes méthodes pour mieux équilibrer ses temps de vie :

  • Définir son planning de travail et de repos à l’avance mais avec souplesse
  • Mettre en place une routine pour ne pas se laisser déborder
  • Réserver des plages horaires fixes pour le travail et pour les activités personnelles
  • S’imposer des limites et apprendre à dire non, tant pour le travail qu’à titre personnel
  • Prioriser ses missions
  • Embaucher et déléguer quand on peut se le permettre
  • S’accorder des pauses régulières, en mettant un chronomètre sur son téléphone
  • S’imposer des périodes, même courtes, de déconnexion totale
  • Constamment évaluer ses méthodes de travail et les faire évoluer en conséquence

L’objectif alors n’est pas de travailler plus, mais de travailler autant voire moins en travaillant mieux. Par ailleurs, il faut justement profiter de cette souplesse d’organisation du travail pour faire du sport chez soi ou se balader à la pause déjeuner, avancer à 16h sur ses tâches ménagères pour être plus libre le soir, travailler dans un espace de coworking pour profiter des services de soin proposés.

 

Le CESE propose par exemple de poser juridiquement la définition du temps libre dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, pour mieux protéger ce temps essentiel. Intégrer des réseaux de soutien entre travailleurs indépendants peut aussi permettre d’offrir des espaces de partage et des solutions pratiques pour mieux gérer son temps. Les travailleurs indépendants doivent pouvoir jouir d’une activité professionnelle, souvent exercée par passion, sur un temps long, sans mettre en péril leur santé, leur productivité, ou laisser de côté leur temps libre. Ils en seront d’autant plus satisfaits et fidéliseront également leurs clients !

 

>> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Travail ou loisir : faut-il choisir ? , La semaine de 4 jours : compression ou réorganisation du temps de travail ?, Les métiers du loisir : notre temps libre, leur temps de travail