Actualité
Infos

3 questions à… Christophe Nguyen, psychologue du travail et Président d’Empreinte Humaine

Christophe Nguyen est psychologue du travail, enseignant et président d’Empreinte Humaine cabinet spécialisé dans la santé sécurité psychologique au travail. Il est co-auteur d’ouvrages de management et d’articles scientifiques dans des revues internationales à impact. Il répond aux 3 questions de la Fondation Travailler Autrement sur l’absentéisme.

1. Tous les baromètres sont unanimes : l’absentéisme a progressé dans le monde du travail. Certains publics sont davantage concernés (les femmes, les plus jeunes, certains secteurs d’activité). Quels sont les facteurs qui expliquent ces différences dans les taux d’absentéisme selon les populations et les secteurs ?

Tous les baromètres et études des instituts de prévoyance permettent d’observer une augmentation plus importante depuis le Covid-19 de l’absentéisme au travail chez certaines sous-catégories de populations, notamment celles qui sont surexposées aux problématiques de santé mentale : les femmes, les jeunes, les managers. L’absentéisme des managers de proximité, tout d’abord, a doublé, notamment car ils ont été surexposés aux problématiques d’épuisement et de burn-out à la suite de la crise sanitaire. De fait, ils ont été bouleversés dans leurs processus managériaux avec la généralisation du télétravail, ont dû faire face à leurs propres contraintes personnelles tout en assurant une continuité du service et en prenant en compte les problématiques personnelles des collaborateurs. Néanmoins, le dernier baromètre de juin révèle que l’absentéisme des managers se stabilise et devrait continuer à se tasser voire à diminuer.  Les femmes ensuite, qui ont subi avec le confinement une aggravation de la charge mentale et des risques psychosociaux : mauvaise répartition des tâches quotidiennes, suivi des devoirs des enfants, aide à un proche, tout en devant continuer de travailler, la plupart du temps sans espace isolé disponible.  Enfin, les jeunes salariés ont vécu la pandémie à un moment clé de leur vie où ils avaient besoin de se construire professionnellement et d’adopter les codes de l’entreprise : premiers stages, premier emploi, socialisation, découverte du monde du travail… Rien de ceci n’a pu être fait dans les bonnes conditions et l’impact s’en ressent aujourd’hui, sur leur intégration professionnelle et sur leur bien-être.

Si l’absentéisme était déjà en augmentation, c’est devenu un enjeu systémique avec la pandémie, avec un boom des absences pour motifs psychologiques, qui impactent directement l’absentéisme. Aujourd’hui, plus de 42% des salariés sont en situation de détresse psychologique pour raisons professionnelles ou personnelles, et 11% ont fait un burn-out sévère (cela représente un peu plus du double d’avant la crise sanitaire). D’abord parce que les salariés ont replacé la place du travail dans leur vie, qui n’est plus une fin en soi. Ils ont dorénavant des exigences de bien-être, d’équilibre de vie, et font le choix pour beaucoup de se recentrer sur leurs proches. Ensuite parce que la charge de travail, qui augmente depuis des décennies, s’est intensifiée de plus belle. Et aujourd’hui, on paie ce manque de régulations de la charge du travail de la part de l’organisation, qui représente un facteur de risque en lui-même jamais traité, mal mesuré. De fait, de nombreux salariés doivent s’auto-réguler pour ne pas se laisser surcharger, quand parfois la priorisation des tâches ne dépend pas d’eux ou qu’ils sont sur-sollicités. Ainsi, quasiment un salarié sur deux déclare ne pas pouvoir dire non à une charge de travail supplémentaire alors qu’il est déjà débordé. Par ailleurs, ⅓ des salariés disent qu’ils exercent un travail, ou ont des missions, qu’ils jugent inutiles. Cette perte de sens et ce sentiment d’inutilité jouent sur la charge de travail ressentie: la charge de travail ne sera pas la même lorsqu’on est reconnu dans un contexte social positif ou lorsqu’on effectue du contenu dénué de sens et dans un environnement toxique.

Quels sont les signes avant-coureurs qui pourraient aider à anticiper et prévenir l’absentéisme, et comment aborder l’absentéisme dit “de convenance” ?

Dans tous les secteurs et toutes les catégories de population, la question de la surcharge et de l’épuisement est centrale, et de multiples facteurs peuvent ainsi expliquer l’absentéisme : charge de travail, perte de sens, conflit de valeur, différence entre ce que l’on souhaite faire et ce que l’on fait réellement, etc. Ainsi, en amont de l’absence d’un salarié, il est primordial d’observer ses ressentis, ses impressions d’iniquités, ou de manque de reconnaissance, exprimés et qui ne doivent pas être banalisés, voire ses plaintes. Ne pas prendre en compte ces signaux faibles peut mener à une absence, revendicative ou non. Aussi, on peut se demander quelle est la conséquence pour une personne qui s’absente alors qu’elle se sent inutile ou non reconnue ? Voire invisible ?

Au sujet de l’absentéisme de convenance, il ne faut pas se tromper de débat. L’abus, difficile à quantifier mais minoritaire, est pourtant très visible et se répercute sur les autres. Sans conséquence, il peut créer des cercles vicieux et porter l’équipe vers le bas. Mais il faut y penser au global : est-ce une crise de flemme ou une question d’incompétence des médecins, ou est-ce plutôt révélateur d’un désengagement ou d’un manque de motivation, liés à un problème entre les attentes du salarié et le travail qu’on lui propose ? L’absentéisme, lorsqu’il est massif, doit être questionné.

Quels seraient les impacts positifs concrets d’une réduction de l’absentéisme au travail ? 

Pour réduire l’absentéisme au travail, ça commence par organiser le retour au travail de ces personnes absentes. Comment réintégrer un salarié absent pour cause de dépression ? Le sujet ne doit en aucun cas être tabou, et les entreprises doivent effectuer un travail avec les psychologues et la médecine du travail pour accompagner le retour au bureau. La relation de confiance est primordiale pour comprendre les raisons d’une absence et anticiper les éventuelles prochaines absences. L’entretien de ré-accueil peut être un bon outil dans ce sens. Il faut aborder le sujet de la bonne manière, en ouvrant le dialogue, tout en respectant le secret médical.

Ensuite, avec une réduction de l’absentéisme, les comptes sociaux iraient mieux ! Cela représenterait une diminution des coûts cachés pour les entreprises sur les moyens et longs termes.

Enfin, une réduction de l’absentéisme induirait forcément plus de fidélité et de confiance. Car lorsqu’un salarié s’arrête pour cause de burn-out par exemple, ça questionne toute l’organisation. Les managers et les DRH sont alors scrutés sur leur façon de réagir et de traiter la situation. C’est un des enjeux d’amélioration du rapport au travail : si l’on souhaite remotiver les collaborateurs, c’est en améliorant leurs conditions de travail et pas en pointant du doigt les dérives. Même s’il ne faut pas être naïf et mettre en place des règles pour éviter les abus. L’absentéisme, dans le monde du travail, nécessite une vigilance de tous, une prise de conscience et des moyens par les entreprises, une prévention active, et un sens des responsabilités de chacun.

 

> Christophe Nguyen est psychologue du travail, enseignant et président d’Empreinte Humaine cabinet spécialisé dans la santé sécurité psychologique au travail. Il est co-auteur d’ouvrages de management et d’articles scientifiques dans des revues internationales à impact.

Son activité consiste à accompagner les organisations dans la mise en œuvre de leur politique Qualité de Vie au Travail ou de prévention des risques psychosociaux dans une optique durable et stratégique. Empreinte Humaine a pour particularité de baser ses innovations en matière d’accompagnement des organisations en s’appuyant sur la recherche internationale dans une perspective de preuves d’efficacité. Après avoir travaillé dans le domaine de la marque employeur en tant que RH, Christophe Nguyen a réalisé plus de 500 diagnostics des risques psychosociaux et de la qualité de vie au travail dans des secteurs diversifiés (bancassurance, industrie, services, médias, nouvelles technologies…) et d’autres missions de conseil, formations pour des entreprises privées ou publiques de toutes tailles. Dans la continuité de ces interventions, il a accompagné de nombreuses entreprises dans la mise en cohérence de leur politique de prévention. Des résultats probants suite à la mise en place d’actions simples et pragmatiques ont été clairement établis.

 

> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Regards croisés sur l’absentéisme : deux baromètres, un même constat ?, Réduire l’absentéisme au travail : une responsabilité partagée pour une meilleure organisation, Absentéisme au travail : de quoi parle-t-on réellement ?, Absentéisme : Quelle place pour la médecine du travail ?