4 questions à… Luc Lesénécal, Président de l’Institut pour les Savoir-Faire Français
Luc Lesénécal est Président de l’Institut pour les Savoir-Faire Français (anciennement Institut National des Métiers d’Art), et Président chez Tricots Saint James. Il répond aux 4 questions de la Fondation Travailler Autrement sur la valorisation des métiers manuels et artisanaux.
Dans quelle mesure l’Institut pour les Savoir-Faire Français (ancien Institut National des Métiers d’Art) contribue-t-il à la valorisation des filières manuelles et artistiques auprès des étudiants et du grand public ?
Les études montrent que les élèves de collège, au moment où se forment les premiers vœux d’orientation – notamment aux métiers manuels, connaissent rarement plus de dix métiers différents. Il est certain que dans ce contexte, les métiers d’art, avec 281 savoir-faire uniques, nécessitent un coup de projecteur particulier ! D’autant que nous avons déterminé que 106 d’entre eux n’ont pas de formations diplômantes, rendant ainsi leur transmission particulièrement complexe. Au cœur de sa mission d’intérêt général, l’Institut sensibilise à trois niveaux : enfants et familles, collégiens, et jeunes déjà engagés dans ces formations. Notre événement phare, les « Journées Européennes des Métiers d’Art », propose chaque année des activités gratuites partout en France, avec près de 1 500 événements dédiés au jeune public, pour les sensibiliser à ces métiers. Notre programme d’éducation artistique « À la Découverte des Métiers d’Art » qui cible les collégiens leur propose des visites et outils pédagogiques, afin de faire connaître les métiers et les formations. Enfin, l’Institut, disposant d’un service de ressources et intelligence économique, publie des études sur le secteur, recense et diffuse les formations initiales et continues sur son site, générant plus d’un million de vues par an. Nous contribuons aujourd’hui au projet « Orphée », financé dans le cadre de France 2030, pour créer une plateforme dédiée à l’orientation et à l’entrepreneuriat dans les métiers d’art. Enfin, l’Institut organise le Prix Avenir Métiers d’Art, qui récompense les jeunes talents en formation à ces métiers, et met en lumière les établissements et formateurs-clés dans l’émergence des nouveaux talents.
Les stages et les apprentissages aident-ils vraiment à susciter des vocations dans ces corps de métier spécifiques ?
Absolument, les stages et les apprentissages sont essentiels pour faire naître des vocations dans les métiers d’art. Ces expériences immersives font découvrir aux jeunes concrètement la richesse et la diversité de ces métiers, souvent méconnus ou sous-valorisés. L’échange direct avec des professionnels expérimentés, l’accès à des ateliers et le contact avec la matière sont un prérequis indispensable à la véritable compréhension de ces métiers qui doivent se vivre pour en prendre toute la dimension. Néanmoins, le recours aux stages et à l’apprentissage est trop faible dans de nombreuses filières de métiers d’art du fait des contraintes réglementaires, de temps ou financières qui pèsent sur ces structures peu voire pas dotées en fonction support. C’est un enjeu fort pour la transmission des savoir-faire que nous documentons le plus précisément possible afin de faire remonter ces difficultés aux pouvoirs publics.
Pandémie, crise climatique, sobriété énergétique, quête de sens, difficultés de recrutement : le rapport des Français au travail a changé. Avez-vous constaté un changement dans la façon qu’a la société de percevoir les métiers d’art, notamment dans leur regain d’attractivité auprès des jeunes diplômés et des travailleurs de bureau en mal de reconversion professionnelle ?
Nous observons un changement profond dans la perception des métiers d’art, particulièrement depuis la pandémie. De plus en plus de jeunes et de personnes aspirent à s’orienter et se reconvertir vers des métiers concrets, porteurs de sens et de valeurs. Les crises successives ont renforcé cette envie de renouer avec l’artisanat local, les racines culturelles régionales, et la transmission des savoir-faire ancestraux. Ce retour à l’authenticité attire de nouveaux profils, souvent issus d’autres secteurs, qui enrichissent ces métiers avec des compétences hybrides. Les métiers d’art sont de plus en plus perçus comme des métiers d’avenir, responsables et en phase avec les attentes sociétales. Cependant, ces métiers exigeants renvoient souvent une image d’Épinal qu’il convient de confronter à la réalité. Les professionnels des métiers d’art font face à de nombreux défis quotidiens et j’encourage quiconque qui souhaite se lancer dans ces voies passionnantes à bien évaluer l’ampleur des défis à relever.
Véhiculer l’idée que ces métiers qui font appel à des savoir-faire ancestraux n’en sont pas moins des métiers d’avenir est-il un défi selon vous ?
Effectivement, c’est un défi, mais un défi passionnant. Il est essentiel de démontrer que ces métiers, bien qu’ancrés dans des traditions et des savoir-faire transmis de génération en génération, sont tout aussi tournés vers l’avenir. Les innovations technologiques, l’évolution des techniques, la réflexion autour de l’écoconception et l’intégration de nouveaux matériaux ouvrent des perspectives inédites pour ces professions. L’un des enjeux majeurs est de démontrer au grand public et aux jeunes que ces savoir-faire ont un avenir prometteur en valorisant notamment les nombreuses initiatives que ces entreprises mettent en œuvre partout en France, quelle que soit la filière. La résilience dont ont fait preuve ces entreprises lors des dernières crises, et notamment celle de la Covid-19, a par ailleurs démontré à quel point un modèle économique ancré sur des valeurs historiques solides est le socle indispensable d’un développement et d’une innovation capables de s’inscrire dans le temps long.
> Luc Lesénécal a consacré sa carrière à la valorisation et au développement des métiers d’art et des savoir-faire d’excellence en France. Après avoir occupé des postes clés à la Coopérative Isigny-Sainte-Mère, il a été nommé conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF) en 2003. Depuis 2012, il est Président des Tricots Saint-James. En parallèle, il est élu, président de l’Association nationale des Entreprises du Patrimoine Vivant en 2017. Puis, en 2019, Luc Lesénécal prend la présidence de l’Institut pour les Savoir-Faire Français (anciennement Institut National des Métiers d’Art). Sous sa direction, l’Institut devient un pilier pour les métiers d’art et du patrimoine vivant, contribuant notamment à la valorisation des savoir-faire d’excellence. Le 30 octobre 2023, ses efforts sont reconnus par la remise des insignes de chevalier de la Légion d’honneur par le président de la République.
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