Transmission du savoir-faire artisanal : les métiers d’hier au service des enjeux de demain
Menuisier, maroquinière, couturière, horloger, céramiste, tailleuse de pierre, charpentier, ébéniste, peintre, mosaïste, verrier, émailleuse… On recense aujourd’hui 281 métiers d’art répartis entre 60 000 entreprises et 150 000 professionnels, selon le gouvernement. Si ces métiers, vieux de 500 ans pour certains, ont recours à des savoir-faire ancestraux, ils n’en sont pas moins des métiers d’avenir, ancrés dans les transitions écologiques et numériques pour répondre aux défis contemporains. C’est “raconter demain avec les gestes d’hier”. D’où l’importance de la transmission intergénérationnelle, moteur de la préservation de ces métiers d’excellence.
Transition écologique : des métiers respectueux de l’environnement
Les valeurs de l’artisanat se posent comme un modèle alternatif aux modes de consommation actuels : durabilité, valorisation des matériaux locaux, techniques respectueuses de l’environnement, production locale et limitée mais de qualité supérieure, réparation, restauration, etc. D’après Stéphane Galerneau, président d’Ateliers d’Art de France, “les métiers d’art sont les porteurs et les garants d’une vision de la société qui fait des choix pour son devenir, incitant à vivre autrement : restaurer, conserver, créer, transmettre, durer !” Ainsi, 6584 artisans sont labélisés “Répar’acteurs”, un label porté par les Chambres des Métiers et de l’Artisanat et par l’ADEME, qui a pour objectif de valoriser la qualification professionnelle et le maillage territorial des artisans réparateurs.
Les ébénistes, tonneliers et menuisiers par exemple travaillent avec le bois, matériau décarboné, et souvent issu de forêts gérées de façon responsable, en priorisant les essences locales (comme le chêne et le hêtre), ce qui permet d’éviter l’empreinte carbone d’importation de bois exotiques. Les émailleurs travaillent quant à eux sur une matière qui se recycle à l’infini. Les métiers artisanaux, axés sur la durabilité et la qualité, s’opposent à l’obsolescence programmée des objets industriels ou de la fabrication à la chaîne, et encouragent une consommation plus éthique et responsable.
Evolution technique et technologique : l’innovation au service de la tradition
Les métiers d’art n’en sont pas moins des métiers d’innovation. Des outils tels que les logiciels de conception assistée par ordinateur, l’impression 3D, ou encore la soudure au laser, donnant naissance à un “artisanat numérique”, permettent de repousser les limites du travail manuel tout en conservant l’essence de la tradition. Selon Alexandre Boquel, Directeur des Métiers d’Excellence de LVMH, “pendant longtemps, les métiers de savoir-faire ont été opposés à une certaine forme de modernité et d’innovation. Cette narration est pourtant loin de la réalité !”.
Les métiers se sont donc transformés, à l’image de l’horlogerie, savoir-faire qui existait déjà à l’époque de Louis XIV et qui maintenant s’adapte au développement des montres connectées, en témoigne Michel Boulanger, horloger : “on a peut-être 500 ans d’existence, mais on est toujours à la recherche de nouveaux matériaux, plus durables, plus fonctionnels”. Le travail n’en est pourtant pas dénaturé. L’intelligence artificielle, quant à elle, a permis de faire émerger un nouveau courant artistique : le collectif d’artistes “Obvious” a développé le “mind to image”, technique qui permet à une IA de mesurer l’activité cérébrale dans des IRM, et de reproduire un tableau créé dans sa tête. “Le processus de mind-to-image ouvre une nouvelle porte vers le subconscient, et vient s’ajouter aux différentes expérimentations des surréalistes telles que l’écriture automatique ou le cadavre exquis”, Pierre Fautrel, membre du collectif. La technologie permet à des savoir-faire anciens de se réinventer.
L’incorporation du numérique ne se limite pas aux outils de production : les réseaux sociaux et les sites en ligne offrent aux artisans une visibilité élargie. De même que les plateformes d’échanges ont grandement facilité le partage de compétences et de connaissances entre artisans du monde entier. L’intelligence artificielle, par exemple, peut aider à la création de contenu sur le site internet ou de posts sur les réseaux sociaux, permettant à des artisans qui n’ont pas de compétences sur ce domaine de se valoriser et augmenter en compétitivité.
La transmission intergénérationnelle, un pilier essentiel pour préserver les métiers d’art
Pour répondre aux exigences de transition écologique, et intégrer les nouvelles techniques, qui de mieux placé que les nouvelles générations ? Soucieuses de leur impact sur l’environnement, nées avec la transition numérique, avec une bonne capacité d’adaptation, elles paraissent être de bons candidats pour s’engager dans ces métiers. Pourtant, les formations ne sont pas nombreuses dans tous les métiers (il n’existe qu’un seul CAP émailleur par exemple), et l’apprentissage “sur le tas” est souvent la règle. C’est pourquoi la pérennité des savoir-faire artisanaux repose sur la transmission des pratiques, des techniques, des valeurs. Dans ce sens, le Ministère de la Culture a décerné depuis 1994 le titre de Maître d’art à 149 professionnels engagés à transmettre leur savoir-faire d’excellence à un élève.
Les jeunes représentent par conséquent le parfait équilibre avec les seniors, expérimentés, débrouillards, travailleurs, et porteurs de savoir-faire précis et techniques qui ne s’apprennent que dans un atelier. Encore faut-il qu’ils s’y intéressent, alors que les métiers manuels de manière générale manquent d’attractivité. Alexandre Boquel insiste sur la nécessité de montrer aux jeunes que ces métiers sont “connectés à la contemporanéité”. Ce sont “des professions qui captent à la fois le meilleur du passé et le meilleur de ce que l’avenir est en train de proposer”, dit-il.
Ainsi, loin d’être des métiers dépassés, ces savoir-faire ancestraux répondent aux exigences d’un monde qui cherche à allier tradition et innovation, pour bâtir un avenir plus durable et équitable. C’est le sens du discours de Luc Lesénécal, président de l’Institut pour les Savoir-Faire Français (anciennement INMA) : “Il est essentiel de démontrer que ces métiers, bien qu’ancrés dans des traditions et des savoir-faire transmis de génération en génération, sont tout aussi tournés vers l’avenir. Les innovations technologiques, l’évolution des techniques, la réflexion autour de l’écoconception et l’intégration de nouveaux matériaux ouvrent des perspectives inédites pour ces professions”.
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