Des métiers polluants aux emplois verts : réussir la transition écologique sans laisser personne de côté
Si la transition écologique va engendrer la création de nouveaux emplois, elle va aussi impacter fortement les métiers et secteurs les plus polluants, qui vont subir les changements de plein fouet : 400 000 emplois créés pour 250 000 emplois détruits selon les prévisionnistes. Que vont devenir ces travailleurs des métiers “bruns” ? Comment faciliter leur adaptation ou leur reconversion ?
Les métiers “bruns” : une menace bien identifiée
Les métiers “bruns” sont qualifiés ainsi lorsqu’ils concernent directement ou indirectement une activité polluante. Par exemple, un directeur de la RSE chez Total est concerné car, bien qu’ayant une fonction liée au développement durable, il travaille dans une activité polluante. Un métier est également appelé “brun” lorsque les tâches qu’il implique sont directement polluantes (comme un fabricant de voitures thermiques), ou encore s’il participe à la production de biens avec une forte empreinte carbone.
On retrouve ces métiers dans des secteurs d’activité spécifiques : le pétrole, l’aviation, l’agriculture intensive, la construction automobile, le bâtiment, le raffinage, la métallurgie… Ces secteurs, historiquement puissants, font face aujourd’hui à une mutation imposée et à une majorité de métiers menacés de disparition, ou du moins d’évolution drastique. Par exemple, la transition écologique va exiger de repenser les modèles agricoles actuels – on parle même d’agroécologie : encourager les circuits courts en relocalisant la production de fruits et légumes, désintensification du travail, recherche de solutions naturelles pour lutter contre les nuisibles, réduction de la production de viande et de l’impact des sols… Tout ceci implique une redéfinition des métiers qui encadrent cette activité, et de leurs objectifs.
Ainsi, et puisque la transition ne se fait pas du jour au lendemain, il est nécessaire de détecter au plus tôt les entreprises et les métiers menacés, afin de déployer des stratégies de transition professionnelle pour les secteurs fortement émetteurs ou dépendant des énergies fossiles. “Il faut absolument faire en sorte que les salariés menacés ne portent pas sur leur dos tout le poids de la transition”, avertit la sociologue Dominique Méda. Par anticipation ou par conviction, certains travailleurs ont déjà entamé une reconversion, comme l’a témoigné sur LinkedIn Yann Woodcock, un pilote de ligne : “je pars car j’ai pris conscience de l’ampleur de la catastrophe climatique et de l’effondrement du vivant”.
La reconversion vers un métier vert : un parcours semé d’embûches
Si les passerelles entre les métiers bruns et les métiers verts existent, l’Institut Avant-Garde souligne plusieurs défis majeurs. A commencer par les profils des travailleurs des métiers bruns et des métiers verts : personnes en milieu / fin de carrière pour les premiers, nouvelles recrues pour les deuxièmes. Par ailleurs, les métiers bruns se situent majoritairement dans des zones rurales du Nord-Est et du centre de la France, et les salariés de ces métiers étaient rémunérés 14% au-dessus de la moyenne en 2019 – notamment en raison d’une prime salariale aux emplois polluants dont certains bénéficient. Enfin, si ces emplois ne sont pas nécessairement plus qualifiés, ils nécessitent des compétences spécifiques le plus souvent techniques. Changer de métier peut donc signifier déménagement, perte de salaire, retour en formation… pour des profils qui ne sont pas considérés comme les plus compétitifs sur le marché du travail. Des difficultés auxquelles tous ne peuvent faire face, comme le reconnaissait l’ancien pilote de ligne, Yann Woodcock, dans son discours : “je suis également conscient d’appartenir à la catégorie des privilégiés qui peuvent se permettre la réduction du temps de travail pour suivre une formation en parallèle”.
Par ailleurs, Liza Baghioni et Nathalie Moncel, respectivement sociologue et économiste au Céreq, identifient un autre défi : “les métiers considérés comme les plus polluants verr[ont] leur part dans l’emploi baisser”. Par exemple, le développement de voitures électriques et la probable baisse de production de véhicules nécessitera moins de main d’œuvre dans la fabrication et l’entretien que les voitures thermiques. De même, le report du fret routier vers des mobilités plus douces comme le train réduira le besoin de chauffeurs routiers. Le risque, pressenti par Cyprien Batut, membre de l’Institut Avant-Garde, est que “si les travailleurs “bruns” ne trouvent pas de solution ou sentent une menace grandissante pour leur sécurité économique, cela peut créer un socle d’opposition aux politiques environnementales”. De plus, si l’évolution des métiers n’est pas la priorité pour les entreprises, les risques encourus incluent des plans sociaux, reclassements, dégradation du climat social.
La nécessaire implication du monde économique et du monde institutionnel
Il est urgent d’encourager les dispositifs de formation et d’accompagnement des transitions professionnelles, mais les entreprises ne peuvent y arriver seules. En plus de l’Ademe, qui soutient la transition écologique des territoires et des entreprises, il y a 2 ans a été créé le secrétariat général à la Planification écologique, qui a pour objectif de coordonner les politiques nationales pour atteindre les objectifs climatiques. L’Etat a mis en place plusieurs dispositifs, comme Transitions collectives (Transco) qui accompagne les entreprises dans l’aide à la reconversion de leurs salariés, ou le Fonds national pour l’emploi (FNE) qui permet le financement d’actions de formation pour préserver ou développer les compétences des salariés.
Un “volontarisme politique [qui] sera vain”, selon Pauline Bailly (directrice chez Idoko), et Arnaud Cartier (directeur général Randstad Risesmart France), sans un accompagnement des entreprises pour la conception de solutions de proximité dans les territoires, qui doit commencer par “une cartographie fine des compétences dont elles auront besoin demain pour assurer leur pérennité”. La CCI Paris Ile-de-France propose par exemple un diagnostic gratuit pour analyser l’impact environnemental des PMI franciliennes et permettre ensuite d’identifier les aides et dispositifs existants. Ce type d’initiatives rejoignent les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat. En juin 2020, ils précisaient : “nous voulons que d’ici 2025 (date du prochain Plan d’Investissement d’Avenir) chaque entreprise, charge organisation et chaque personne soient accompagnées pour faire évoluer leur activité, voire en changer si elle devait disparaître et ainsi contribuer à diminuer les émissions de gaz à effet de serre”.
De nouvelles solutions sont aussi à imaginer. Cyprien Batut propose par exemple que les entreprises vertes qui s’implanteraient dans les régions touchées par les destructions d’emploi pourraient bénéficier d’exonérations fiscales patronales. Dominique Méda, quant à elle, proposait en 2023 la création d’un vrai commissariat général au plan, avec une présence régionale.
Ainsi la transition écologique, au-delà de ses impératifs environnementaux, appelle à un véritable bouleversement du paysage professionnel. Pour relever ce défi, il ne suffit pas de créer des emplois verts : il faut accompagner collectivement la mutation des métiers existants, pour assurer une transition juste et durable.
> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Transition écologique : quand métiers et compétences s’adaptent pour un monde en transition, Transition écologique : quelle place pour les cadres ?