Transition démographique : une opportunité pour le monde économique ?
Entre baisse de la natalité et augmentation de l’espérance de vie, une transition démographique majeure est en marche dans les pays développés. Si ce phénomène constitue un défi pour les systèmes sociaux construits après la Seconde Guerre mondiale, il représente également une opportunité inédite pour les entreprises. En parallèle de cela, les métiers du soin, situés en première ligne de ces transitions, doivent faire face à des défis d’attractivité et de valorisation.
Les transitions démographiques en cours : bonne ou mauvaise nouvelle ?
L’évolution démographique en cours concerne plusieurs sujets : la baisse de la natalité (1,8 enfant par femme), les recompositions familiales, les migrations mondiales – qu’elles soient politiques, économiques ou climatiques, l’augmentation de l’espérance de vie, etc,. Si ces tendances redéfinissent la structure de nos sociétés, c’est le vieillissement de la population qui retient particulièrement notre attention. De fait, l’espérance de vie est aujourd’hui de 85 ans pour les femmes et 79 ans pour les hommes, contre 76 et 68 ans en 1970. D’après les prévisions, au 1er janvier 2050, parmi les 70 millions d’habitants en France, ⅓ seront âgés de 60 ans et plus (contre ⅕ en 2005).
Si ce vieillissement peut être l’heureuse conséquence d’une amélioration globale de la qualité de vie et de la santé de chacun, “cette bonne nouvelle sur le plan individuel menace néanmoins de déstabiliser les systèmes sociaux et de prévoyance tels qu’ils ont été conçus dans l’immédiat après-guerre”. D’autant plus qu’un autre critère est à prendre en considération : l’espérance de vie à 65 ans sans incapacité (EVSI). Alors qu’elle s’élève en moyenne à 12,1 ans pour les femmes et 10,6 ans pour les hommes sur le territoire français, des disparités géographiques existent. Ainsi, la note “Vieillissement de la société française : réalité et conséquences” publiée par le Haut-Commissariat au Plan en février 2023 précisait que certaines zones comme l’Île-de-France ou l’Ouest garantissent un bien meilleur vieillissement en bonne santé que dans le Sud, dans les Hauts-de-France ou dans les Outre-mer. Les réponses de l’Etat et des entreprises au vieillissement de la population doivent donc prendre en compte ces “mille façons de vieillir”. Par exemple, un territoire touché par une EVSI plus faible nécessitera une offre plus conséquente d’EHPAD. Ce constat oblige les entreprises à faire évoluer leur offre, tout en leur donnant l’opportunité de se réinventer.
La “silver économie” : une opportunité pour les entreprises ?
L’ensemble des activités économiques et industrielles qui ont pour objectif d’”améliorer la qualité de vie des personnes âgées, garantir leur autonomie le plus longtemps possible ou même allonger leur espérance de vie” s’appelle la silver économie. Elle inclut notamment la santé, l’habitat, les transports, les loisirs, les services, etc. Selon les prévisions, la silver économie pourrait augmenter le PIB français de 0,25% par an.
Tous les secteurs d’activité se retrouvent ainsi impactés par les transitions démographiques. Par exemple, si la diminution du nombre d’enfants va entraîner une diminution des besoins en crèches, d’écoles, de pédiatres, de fabrication de couches pour les enfants, à l’inverse, l’augmentation du nombre de personnes âgées nécessitera une multiplication des offres de maisons de retraites, de gérontologues, ou encore des boutiques d’appareils auditifs. Au niveau de l’alimentation, il va falloir multiplier l’offre de produits qui se dégustent plus facilement, tandis que les logements devront être construits avec des adaptations spécifiques (élévateur, douche adaptée, maison de plain pied…). Une nécessité d’autant plus grande que 90% des 60 ans et plus souhaitent rester vivre le plus longtemps au sein de leur logement actuel selon l’IFOP. Par ailleurs, l’espace public va aussi devoir entamer une transformation, pour se rendre plus accessible aux personnes âgées (bancs, toilettes publiques, parcours sécurisés, accès aux transports et aux commerces…). La médecine va également évoluer, pour répondre aux besoins de cette population qui vit plus longtemps, mais pas toujours en bonne santé.
Ainsi, de nombreuses infrastructures ou produits de la vie courante doivent être repensés ou transformés pour répondre au vieillissement de la population, créant ainsi une réelle opportunité de développement pour les entreprises. A condition de mutualiser les actions : le Haut-Commissariat au Plan déplore que “le réseau innovant des acteurs de la “silver économie” n’est à l’heure actuelle pas assez structuré”, et compte en majorité des TPE et PME, qui se sont développées sans vision d’ensemble.
Le cas des métiers des services à la personne : quels défis ?
Parmi ces secteurs d’activité, il y en a un qui attire notre attention : le secteur des services à la personne. Selon Indeed, il inclut pas moins de 26 métiers, parmi lesquels on retrouve les aides-soignantes, les infirmiers, les auxiliaires de vie, les agents d’entretien, les aides à domicile, les aides médico-psychologiques. Avec l’évolution démographique, couplée à la volonté des personnes âgées de vieillir chez elles, les besoins en personnel qualifié dans ces secteurs sont exponentiels, afin de garantir à tous une qualité de vie digne. Longtemps exercés par l’entourage familial ou par des bénévoles, “ces métiers requièrent un certain niveau de technicité et de responsabilité, mais aussi une véritable intelligence émotionnelle et sociale”.
Mais ces métiers font face à des difficultés d’attractivité, notamment en raison des conditions de travail parfois difficiles, des horaires fragmentés, des nombreux déplacements, des évolutions de rémunérations limitées, de la solitude du métier, et du manque de reconnaissance sociale. Ces emplois s’inscrivent rarement dans des projets de carrière et s’exercent d’ailleurs plutôt par des personnes en seconde partie de carrière. Ainsi, parmi les 5 métiers les plus en tension d’ici à 2030, on retrouve les aides à domicile et les aides-soignantes.
Des solutions existent pour attirer les travailleurs – et surtout les travailleuses. Quatre chercheurs proposent ainsi d’étendre la rémunération au-delà de l’interaction directe avec les usagers, mais en intégrant aussi “les temps de préparation, de récupération, de déplacement, de coopération au sein d’un collectif de travail”. Il est également nécessaire de faire connaître ces métiers auprès des plus jeunes, en indiquant les possibilités de passerelles et de perspectives d’évolution professionnelle. La Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) par exemple peut permettre d’obtenir une certification professionnelle en faisant valoir les compétences professionnelles et personnelles tout au long de sa vie (une aide-soignante peut ainsi devenir infirmière).
Ainsi, si la transition démographique en cours impose une reconfiguration des systèmes sociaux et des services, elle ouvre également des perspectives inédites pour les entreprises. Pour réussir ces changements, et permettre à chaque génération d’en bénéficier, il sera crucial d’agir de manière concertée, en valorisant notamment les métiers essentiels et en favorisant l’innovation.
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