Le travail : une opportunité ou un danger pour la santé mentale ?
Espaces de coworking design, cours de pilates, babyfoot, afterworks… Si ces initiatives fleurissent dans certaines entreprises, notamment en milieu urbain et dans les métiers de bureau, et participent à une bonne ambiance, elles ne doivent pourtant pas masquer des problématiques plus profondes. Comment s’attaquer réellement au sujet de la santé mentale ? Comment faire du travail un lieu d’épanouissement ? Quel est le rôle de l’entreprise sur cet enjeu, quel que soit son secteur d’activité et son implantation ?
Une fausse idée du bien-être au travail : l’exemple des start-ups
Les entreprises, notamment les start-ups, voient se multiplier des initiatives pour favoriser la convivialité : afterworks, salles de sieste, viennoiseries pendant les réunions, séances de team building… Ces idées, souvent bien accueillies, ne suffisent pas à garantir un environnement de travail sain. Selon Adrien Chignard, psychologue du travail, les entreprises font encore trop la confusion entre “ce qui est sain et ce qui est agréable. La santé mentale au travail, ça ne consiste pas à organiser des séances de yoga ou du team building. C’est avant tout des conditions de travail qui permettent aux salariés de bien faire leur job sans s’épuiser”.
Paradoxalement, en France, les entreprises qui promeuvent le plus cette image du travail amusant, les start-ups, sont celles qui font régulièrement l’objet de critiques sur le traitement des salariés. Ce constat a pris de l’ampleur avec le compte instagram “Balance Ta Start-Up”, créé fin 2020, avec en description, “Parce que le baby-foot c’est cool, mais le droit du travail c’est encore mieux”. Le compte a ainsi publié des témoignages anonymes dénonçant les conditions de travail et les pratiques managériales chez Lou Yetu, Doctolib, Lydia, Swile, Too Good To Go, Iziwork, My Little Candle, etc. Derrière l’image dynamique et innovante des start-ups, certains salariés décrivent un quotidien marqué par la pression managériale, la surcharge de travail, l’absence de reconnaissance et surtout une frontière floue entre la vie professionnelle et la vie personnelle…
L’avocat en droit du travail Thierry Romand pointait plusieurs raisons : ces structures récentes sont souvent peu structurées en matière de droit du travail, sans service RH dédié et avec un impératif de croissance rapide… Un environnement parfois peu favorable à de bonnes conditions de travail. Les posts instagram, bien que jugés pour certains diffamatoires ou délationnistes, ont permis de casser cette image “cool” et parfois entraîné le lancement d’enquêtes en interne, voire une refonte totale de la gouvernance comme chez Iziwork. Mais alors, comment l’entreprise peut et doit-elle contribuer à la santé mentale des salariés ?
Passer de l’affichage au réel engagement
Pour assurer une véritable prévention des risques psychosociaux (stress, surcharge de travail, violences), les entreprises doivent aller au-delà des initiatives de façade. La loi impose déjà aux employeurs de “prendre des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs” (information, prévention, formation, évaluation des risques, y compris concernant les risques psychosociaux), mais trop peu d’actions sont menées. La crise sanitaire a particulièrement mis en lumière la situation des femmes, des jeunes et des managers, surexposés aux problématiques de santé mentale, comme l’a souligné le psychologue du travail Christophe Nguyen. Ces problématiques de santé mentale en entreprise ne sont pas sans liens avec la situation personnelle et familiale des individus.
Les entreprises peuvent mettre en place des dispositifs concrets et pérennes : droit à la déconnexion, dispositifs d’écoute, campagnes de sensibilisation et de formation, création de lien social, mise en place d’un environnement de travail sain où les salariés peuvent s’exprimer librement, etc. Elles peuvent aussi repenser l’organisation du travail pour des cas spécifiques détectés. Le Club Landoy vient par exemple de publier le guide “1 Coalition, 20 solutions” qui recense des bonnes pratiques pour soulager les salariés aidants. Il ne faut pas attendre le burn-out pour déployer des solutions dans l’urgence. Les entreprises doivent privilégier des actions régulières et durables pour un créer un climat de “sécurité psychologique”.
Plus que tout, il faut s’assurer que le sujet de la santé mentale ne soit pas uniquement abordé dans les entreprises employant des salariés de bureaux et des cadres, alors qu’un agriculteur se suicide tous les 2 jours en France, et que 42% des salariés se considéraient en 2024 en situation de détresse psychologique modérée ou élevée. Un chiffre doublé par rapport aux 21,7% des travailleurs français ayant le statut de cadre.
Le travail : source de bonne santé mentale ?
Si le mot “travail” vient du latin tripalium, qui désignait à l’époque romaine un instrument de torture, il est pourtant aujourd’hui porteur d’accomplissement et d’émancipation. En plus d’une sécurité financière, quand il est exercé dans de bonnes conditions, il peut être source d’épanouissement, de réalisation personnelle, d’ascension sociale, de créativité, d’ouverture aux autres et de lien social, de stimulation intellectuelle, de sentiment d’utilité, de construction de soi, de confiance en soi, de structuration du temps… Il peut également être un endroit où souffler face à un quotidien personnel difficile. Autant d’éléments qui favorisent une bonne santé mentale. Pour preuve, les personnes sans emploi risquent davantage la précarité et l’isolement, et leur santé mentale en est directement impactée : on parle même d’un “mal-être psychologique des chômeurs”.
De fait, 60% des 25-34 ans estiment que leur activité professionnelle contribue à leur équilibre mental. Cependant, des inégalités marquées persistent : une enquête publiée par la Fondation Jean Jaurès en novembre 2023 révélait que si 72% des actifs se disaient épanouis au travail, ce chiffre grimpait à 80% chez les plus diplômés pour tomber à 60% chez ceux qui avaient arrêté leur formation au collège. De même, les ouvriers n’étaient que 40% à le déclarer (contre 100% des agriculteurs).
Le travail peut et doit être porteur d’émancipation, d’accomplissement, et ainsi, contribuer à la santé mentale des travailleurs. Il est par conséquent urgent de permettre à tous d’accéder à un environnement professionnel sécurisant, car un salarié en bonne santé mentale, c’est un salarié plus engagé et plus performant.
> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : La santé mentale, grande cause nationale 2025 : quelles implications pour les entreprises ?, Santé mentale des salariés en 2025 : quels constats ? quels leviers ?, 3 questions à… Laurent Tertrais, Secrétaire national CFDT Cadres