
3 questions à… Christophe Bouillon, Président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires
Christophe Bouillon est Président de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires. Il répond aux 3 questions de la Fondation Travailler autrement sur les enjeux du travail dans les territoires.
L’ANCT vient de publier en janvier 2025 la première synthèse de la Fabrique Prospective “Attractivité des métiers et des compétences industrielles”. Quels en sont les grands enseignements ? Pouvez-vous donner des exemples de réussites et initiatives locales mises en avant dans cette synthèse ?
La Fabrique Prospective a émergé d’un constat : l’industrie connaît des difficultés de recrutement du fait des conditions de travail difficiles, des représentations négatives, de l’inadéquation entre les formations et les métiers industriels, et du besoin de nouvelles compétences liées à la transition numérique et écologique. Elle a ainsi accompagné 8 Territoires d’industrie sur une période de 9 mois dans une démarche de co-construction d’une vision prospective à long terme et un plan d’action à court terme, face aux transitions écologique, démographique et économique. En réunissant dans chaque territoire une vingtaine d’acteurs locaux, cette expérience a mis en lumière la nécessité de repenser en profondeur les parcours de recrutement. Si la problématique de l’attractivité des métiers était déjà connue, les territoires ont su expérimenter des leviers originaux pour y répondre. Par exemple, le territoire du Nord Loiret a imaginé un escape game des métiers de l’industrie, et Lisieux Normandie a proposé de développer la communication des entreprises sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Dans cette logique de renouvellement des méthodes, France Travail a présenté aux élus deux dispositifs innovants : le recrutement par simulation, qui vise à cerner les qualités professionnelles des publics avant leur expérience ou formation, et l’immersion professionnelle qui, sur une période d’un jour à un mois, permet à un candidat de découvrir un métier. Terres de Montaigu a ensuite eu l’idée de créer un Bac Pro industriel généraliste qui permettrait des stages dans différentes filières du territoire.
Un second enseignement majeur concerne l’adaptation des compétences face aux transitions numérique (robotisation, automatisation) et écologique (décarbonation, gestion des déchets). Elles redéfinissent les métiers industriels, mais les données locales pour anticiper ces évolutions restent rares. Une des actions imaginées par le Bassin de Brive est une instance réunissant les industriels, les partenaires sociaux et les organismes de formations pour approfondir la connaissance de l’emploi local, identifier les secteurs en difficulté de recrutement et échanger sur la construction d’outils communs.
En quoi les tiers-lieux peuvent-ils permettre une dynamisation de l’emploi local et un renforcement du tissu économique des territoires ?
Les tiers-lieux permettent à la fois une économie du réemploi et du recyclage, le soutien à des commerces de proximité, le développement d’espaces de coworking, ou encore la continuité des services publics. Ils émergent comme des réponses au maintien du lien social et à la lutte contre l’isolement.
Les Manufactures de proximité sont des tiers-lieux à vocation productive. Elles visent à développer des filières économiques implantées localement, notamment dans l’art, le réemploi et le textile. Elles fournissent et mutualisent des outils de production et favorisent l’échange de compétences. L’ANCT en a labellisé 100 qu’elle accompagne en ingénierie et en subvention. La Manufacture Fleurs d’exception située à Grasse (06) a par exemple relocalisé une filière de parfumerie locale.
Les Fabriques de territoire, deuxième type de tiers-lieux, sont plutôt des espaces d’innovation et de coopération et contribuent ainsi à l’économie locale : 56% des lauréats de 2024 l’alimentent par la vente de produits locaux, 82% proposent des espaces aux travailleurs, et 55% participent à l’économie circulaire en offrant recyclerie, ressourcerie ou Repair café. Ces lieux œuvrent également à la création d’emplois.
Quelles conditions faut-il réunir pour que les entreprises et les acteurs de l’emploi fassent des territoires des lieux d’opportunité et d’épanouissement professionnel, notamment pour les jeunes ?
Pour proposer des territoires d’opportunité et d’épanouissement, nous encourageons une coopération renforcée entre les acteurs de l’emploi, de la formation, du monde économique, de la cohésion sociale, de l’insertion, et de l’éducation. Les Pactes plein emploi en sont une illustration concrète, car ils facilitent une meilleure articulation des acteurs locaux pour offrir aux résidents des Quartiers Prioritaires de la Politique de la ville les mêmes opportunités d’insertion professionnelle que sur les autres territoires. Concrètement, cela passe par un accès au logement, à la mobilité, ou encore aux solutions de gardes d’enfants pour lever les freins à l’installation. Des immersions en entreprises ou des job-dating sont aussi des pratiques qui ont fait leurs preuves. L’adaptation des offres de formation aux besoins des entreprises est un gros enjeu, et le soutien aux initiatives entrepreneuriales doit être renforcé. La Politique de la ville encourage aussi la mise en place d’actions de sensibilisation, comme la Fresque de la Diversité, ateliers expérientiels d’intelligence collective servant à lutter contre les discriminations dans l’accès à l’emploi.
Territoires d’Industrie, autre programme de l’ANCT, accompagne les territoires dans cette attractivité professionnelle, ce qui passe souvent par la recherche d’une nouvelle identité pour la filière, comme pour le territoire. Il propose aussi un accompagnement à l’intégration des personnes, par la recherche d’emploi du conjoint, la mise en relation avec des acteurs du territoire, ou des démarches de parrainage. Un autre levier d’action réside dans une offre de sport, de restauration ou encore des espaces de pause, mais aussi dans une offre d’animation pour des lieux de vie et de travail agréables.
L’ANCT se mobilise aux côtés des territoires pour faire de l’emploi un levier d’attractivité locale.
> Christophe Bouillon est Maire de Barentin (Seine-Maritime – 76), Président de l’Association des petites villes de France et Président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
Né le 4 mars 1969 à Rouen, il est élu Maire de Canteleu (76) en 2001. Il est par la suite élu député de la 5ème circonscription de Seine-Maritime en 2007, et réélu à deux reprises en 2012 et 2017. Élu Maire de Barentin (76) en 2020, il démissionne de sa fonction de député pour non-cumul de mandat.
Christophe Bouillon est élu en 2017 Président de l’Association des petites villes de France (APVF) et Vice-président de la Confédération des petites villes de l’Union européenne. Le 13 décembre 2022, il est élu, par le conseil d’administration, Président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Les métiers des territoires, piliers de l’économie locale, S’épanouir professionnellement en dehors des grandes villes : mission possible !, Le télétravail : un enjeu territorial ?