
Le télétravail : un enjeu territorial ?
L’essor du télétravail a contribué à transformer nos modes de travail traditionnels. Si de nombreuses études se sont penchées sur ses effets en entreprise, ses impacts sur les territoires, pourtant significatifs, sont longtemps restés dans l’ombre. Le rapport “Les impacts territoriaux du télétravail : angle mort des politiques publiques ?” publié en novembre 2024 par France Stratégie et l’IGEDD, éclaire ces enjeux et relance le débat. Nous l’avons lu pour vous.
Le télétravail, pas pour tous !
Depuis plusieurs années, des actions ont été entreprises pour démocratiser le télétravail : multiplication des espaces de coworking, déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire, amélioration des outils numériques… Pourtant, de fortes disparités socio-professionnelles et territoriales subsistent, limitant l’accès au télétravail à certaines catégories de travailleurs et à certaines zones géographiques.
En 2024, 22% des salariés français ont eu recours au télétravail. Mais tous les emplois ne le permettent pas : le rapport précise que cela dépend du secteur d’activité, du niveau de qualification, du type de travail, des conditions de logement, de la distance domicile-travail et même de la relation employeur-employé. Par exemple, les métiers manuels (plombier, électricien, paysagiste, boulanger, fleuriste, coiffeur…) ou certains emplois dans le secteur des services (agent d’accueil, aide à domicile, infirmière, chauffeur, éducateur…) ne peuvent évidemment pas se faire à distance. Selon une enquête menée par l’INSEE sur le télétravail en 2025, la part de télétravailleurs parmi les salariés atteint ⅔ chez les cadres. En revanche, les ouvriers en sont presque totalement exclus, tandis que les employés et les professions intermédiaires y accèdent encore de manière limitée (respectivement 8% et 18%).
Les inégalités sont également d’ordre géographique : le télétravail est nettement plus répandu dans les grandes agglomérations et en Île-de-France. Ainsi, si plus de 40% des salariés parisiens télétravaillent, ce nombre tombe à 22% pour les salariés résidant dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants, et à 11% dans les zones moins urbanisées. La part des emplois télétravaillables varie également selon les territoires : si plus de 50% des emplois en Île-de-France sont compatibles avec le télétravail, les régions moins urbanisées et périphériques restent largement en dehors de cette dynamique, avec une plus faible part d’emploi télétravaillables (moins de 40%), notamment en Normandie et en Bourgogne-Franche-Comté.
Télétravail et mobilité : des impacts inégaux
L’impact du télétravail sur la mobilité, l’aménagement du territoire et l’organisation du travail varie fortement selon les zones géographiques. Il révèle cependant moins une transformation homogène qu’une dynamique de recomposition territoriale.
L’effet le plus immédiat du télétravail sur la mobilité est sans doute la réduction des trajets domicile-travail, en particulier en Île-de-France, mais aussi à Lyon ou Toulouse, avec une baisse notable de la fréquentation sur certaines lignes de transport en commun. Toutefois, cet impact reste contrasté : hors des grandes métropoles, où les transports en commun sont plus restreints, la circulation automobile n’a pas diminué de manière significative, et la dépendance à la voiture reste forte, freinant les bénéfices écologiques attendus du télétravail.
La généralisation du télétravail a également accéléré une dynamique d’éloignement résidentiel qui existe depuis plusieurs décennies. A la recherche d’un meilleur confort de vie, de nombreux actifs choisissent de s’installer plus loin de leur lieu de travail. En Île-de-France par exemple, le télétravail a motivé 27% des départs. En moyenne, un télétravailleur habite désormais à 28km de son bureau, contre 14km pour les autres actifs. Cette dynamique bénéficie aux couronnes périurbaines et aux petites villes bien connectées aux grandes métropoles, contribuant à redynamiser certains territoires. En revanche, les espaces ruraux moins bien desservis profitent encore peu de cette nouvelle attractivité, en raison d’un déficit d’infrastructures (transports, numérique, équipements adaptés…). Les tiers-lieux, pour pallier ce déficit, ont été largement déployés dans de nombreuses agglomérations, villes moyennes et zones rurales (passant de 1800 en 2018 à 3500 en 2023). Comme à Fougères, qui, dépourvue de transports ferroviaire et trop éloigné de la métropole de Rennes, a mis en place l’espace de co-working “Le Fil”. Les tiers-lieux peinent pourtant à séduire : seuls 1% des télétravailleurs les utilisent régulièrement. Cet éloignement n’est pas sans conséquences sur les entreprises, qui sont contraintes de repenser l’organisation de leurs espaces de travail.
Nombre d’entre elles, afin d’inciter les salariés à revenir au bureau, mais aussi pour optimiser leurs coûts, choisissent désormais de se recentrer dans des zones plus centrales, mieux desservies, tout en diminuant la taille de leurs locaux (20 à 30%) grâce à la généralisation du flex office, un « compromis » imposé aux salariés face à leur quête de flexibilité, selon Béatrice Vessiller, Vice-Présidente de la Métropole de Lyon. En conséquence, en Île-de-France, mais aussi dans certaines métropoles telles que Lyon ou Lille, le secteur de l’immobilier de bureau traverse une crise marquée : chute significative de la demande placée, baisse des prix moyens au m2 et progression continue du taux de vacance. Les parcs tertiaires mal desservis par les transports et mal adaptés aux nouvelles normes énergétiques sont particulièrement touchés, parfois jusqu’à entraîner une transformation des bureaux en logements.
Le télétravail, un levier de transformation territoriale
Le télétravail représente une opportunité majeure pour repenser l’aménagement des territoires, en particulier en milieu rural et dans les zones périurbaines. Il pourrait ainsi contribuer à renforcer l’attractivité de ces territoires, améliorer la qualité de vie des travailleurs et dynamiser l’économie et l’emploi local, notamment en raison des déplacements supplémentaires générés par les télétravailleurs pour leurs activités personnelles et de loisirs, ce qui peut bénéficier aux commerces et services locaux !
Cependant, le rapport souligne que le télétravail reste largement sous-exploité dans les politiques publiques locales. Il n’est pas encore véritablement intégré aux documents d’urbanisme, ni aux stratégies d’aménagement. Depuis 2017, le cadre juridique y est pourtant favorable et les initiatives publiques existent depuis 2005. Mais le manque de données spécifiques sur les impacts territoriaux freine l’action : il reste difficile d’évaluer précisément les changements pérennes en matière de mobilité, d’habitat, de consommation ou de fréquentation des services locaux.
La Métropole de Rennes offre un exemple concret d’initiative innovante avec son programme “Bureaux des Temps”, qui pallie cette lacune en fournissant des outils tels que “bureauarallonge” et “alabonneheure”. Ces outils promeuvent non seulement les espaces de coworking, mais renseignent aussi les utilisateurs sur les principaux pics d’affluence routière, contribuant ainsi à fluidifier la circulation, réduire les bouchons et limiter la pollution. De même, la Métropole de Lyon a mené une expérimentation réussie auprès de trois grandes sociétés de services, démontrant les effets positifs du télétravail pour le bien-être environnemental. Cette expérience a mis en avant l’importance de promouvoir une politique de télétravail à long terme, avec au moins trois jours de télétravail par semaine, afin d’observer des résultats concrets. De fait, la prise en compte des enjeux environnementaux dans les politiques locales pourrait justement renforcer les bénéfices du télétravail tout en contribuant à une meilleure durabilité des territoires !
> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Les métiers des territoires, piliers de l’économie locale, S’épanouir professionnellement en dehors des grandes villes : mission possible !