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Handicap : quelles leçons tirer du passé ?

Le sujet du handicap est encore trop tabou dans nos sociétés actuelles. Le pari de l’archéo-anthropologue Valérie Delattre, dans son ouvrage « Handicap : quand l’archéologie nous éclaire », est de montrer en quoi la façon dont les personnes handicapées ont été traitées par le passé en dit long sur comment elles le sont aujourd’hui. Ce livre raconte, à travers l’Histoire, la vie quotidienne des personnes handicapées. Etaient-elles exclues dans l’antiquité grecque ? Choyées au Paléolithique ? Appareillées au début du XXe siècle ? Etaient-elles enterrées avec délicatesse, ou ostracisées ? L’archéologie du handicap, c’est « l’étude systématique de la place des corps différents dans les sociétés passées« Une leçon instructive qui encourage à mieux inclure la différence au quotidien.

Une inclusion ancienne du handicap

Les êtres humains ont toujours connu la différence au sein de leurs groupes, et « Ignorer leur statut, leur implication dans les communautés du passé, méconnaître le déni de certains groupes, la stigmatisation ou l’abomination du sort qui leur a été parfois réservé revient à amputer la longue histoire de l’homme d’une partie pourtant non négligeable de son identité, celle de sa propre vulnérabilité » – p.11.

On relève une attention particulière portée aux personnes handicapées dès les premiers Homo Sapiens : des fouilles en Israël de sépultures datées d’environ 100 000 ans révèlent qu’un jeune adolescent handicapé a été enterré avec des bois de cerf sur lui, représentant la protection de son âme dans « un au-delà qui l’accueille seul » – p.37. L’auteure multiplie les exemples et les dates.

Elle rappelle de plus nombre de figures historiques et mythologiques qui portaient fièrement leur handicap, qui n’est jamais « [une] moins-value à l’incarnation de leur toute puissance » – p.54, comme Vispala, guerrière de l’Inde antique dont la jambe perdue au combat a été remplacée par un membre en fer, ou le roi Nuada (mythologie irlandaise) qui a une prothèse en argent pour remplacer son bras sectionné, ou encore le viking Ivar le Désossé qui ne pouvait marcher à cause d’une maladie des os, et le roi Richard III d’Angleterre (XVe siècle), atteint d’une importante scoliose, « confirmant la compatibilité de l’exercice d’un pouvoir autoritaire avec un handicap physique sévère » – p.68.

Les cannes, les premières béquilles et fauteuils roulants apparaissent dès le Ve siècle avant notre ère, en Chine. On peut voir aussi des loupes grossissantes, qui seront remplacées par les lunettes au XIIIe siècle. Une révolution s’est produite avec Ambroise Paré, chirurgien du XVIe siècle, qui créa une prothèse de bras, s’adressant aux fortunés comme aux plus pauvres, grâce aux matériaux comme « le bois de frêne, de hêtre, de châtaignier, le cuir ou encore la laine » – p.132.

Une volonté de cacher

Valérie Delattre explique aussi que, si les lieux d’accueil comme les hôpitaux ont commencé à se multiplier pour accueillir les personnes handicapées, ils ont eu pour effet de rendre « peu à peu invisibles les handicapés qui disparaissent ainsi du regard des familles, des paroisses et des cités. Les infirmes, instruits dans leurs institutions, sont écartés puis oubliés du quotidien de la cité » -p.74. L’histoire n’a donc pas toujours été très tendre avec la différence, et « une tendance a longtemps prévalu, celle de la dissimulation des corps meurtris et de leur mise à l’écart décidée par les autres » – p.157, une volonté assumée de les rendre invisibles… Un cimetière dans le Haut-Rhin datant du XIIIe au XVIIIe siècle révèle les anciennes locataires d’un couvent, des jeunes filles infirmes ou estropiées, accueillies car en impossibilité d’être épousées.

Dans sa théorie de l’évolution, Darwin proposait que la sélection naturelle se faisait non seulement chez les animaux, mais aussi chez les humains : les plus faibles ont de plus faibles chances de survie. Le problème c’est que de cette théorie, il n’y a qu’un pas vers l’eugénisme. Les nazis s’y sont d’ailleurs prêtés, en stérilisant et exterminant les personnes handicapées, afin d’aboutir à « la perfection biologique de la race nordique » – p.173. Il y eut près de 80 000 victimes handicapées, et 40 000 ont été stérilisées. Au même moment, en France, se produisait « l’hécatombe des fous » – p.174 : 45 000 malades mentaux, dont Camille Claudel, sont morts de faim dans l’indifférence dans les hôpitaux psychiatriques de la France occupée.

Les leçons pour le XXIe siècle

Le constat à tirer du passé est simple : « La visibilité et la diversité des handicaps accompagnant l’expression figurative d’une société sont un indicateur infaillible de leur acceptation, et donc de l’inclusion des différences » -p.78. De là, Valérie Delattre se questionne : que dire du XXIe siècle au vu de la sous-représentation systématique actuelle des personnes handicapées dans les médias, au cinéma, dans les lectures ? A titre d’exemple, si 20% de la population française est porteuse d’un handicap, elles sont 0,63% des personnes présentes à l’écran.

Pour l’auteure, la meilleure façon d’inclure la différence est de la banaliser, l’afficher comme telle. Mais afin d’atteindre cet objectif, il est essentiel de « légiférer, statuer, ordonner et contraindre les télévisions, les radios, les écoles d’art et les centres de formation de journalistes pour qu’ils constituent des viviers de professionnels et favorisent la pleine visibilité des personnes avec handicap » – p.80.

Elle met également en garde sur les dérives possibles : l’homme de demain, avec les espoirs de la génétique et de la sélection des embryons, sera génétiquement modifié, afin d’être « plus intelligent, plus créatif, en meilleure santé, vivant plus longtemps et plus fort » pp.208-209. Mais alors, « Un darwinisme médical ne risque-t-il pas de prendre le relais du darwinisme social ? » – p.176.

 La citation à retenir

« La lecture des comportements passés liés au handicap et à sa prise en charge fait écho aux sujets sociétaux largement débattus de nos jours. Il s’agit de lever le voile sur des comportements méconnus, d’établir des passerelles de lecture et de compréhension afin que le présent qui stigmatise encore les différences se charge rapidement de les accueillir et de les valoriser. »

L’autrice

Valérie Delattre est archéo-anthropologue à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). Elle est spécialiste des pratiques funéraires et cultuelles de la Protohistoire au Moyen-Âge ; elle est également très investie dans le milieu du handicap, dans le cadre associatif et grâce à la collection « Les défis de civilisation ». Elle est aussi co-autrice avec Vincent Bergier de l’ouvrage jeunesse « Il était une fois la différence, les archéologues racontent le handicap (2020).  » En 2011, elle a été lauréate, avec Ryadh Sallem, du prix Handi-Livres pour leur ouvrage « Décrypter la différence ».

 

> Pour en savoir plus : https://www.editions-lepommier.fr/handicap-quand-larcheologie-nous-eclaire#anchor1

> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : 3 questions à … Charles Rozoy, champion paralympique à Londres en 2012, Ensemble, c’est travailler autrement.