Les salariés intérimaires, oubliés de la prévention en santé ?
La santé et la sécurité au travail sont des enjeux primordiaux, à l’heure où près d’un million d’accidents du travail sont recensés chaque année en France. L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) a étudié dans sa revue n°849 du mois de juin « Travail et Sécurité – le mensuel de l’INRS pour la prévention des risques professionnels » sur les salariés intérimaires, qui seraient plus touchés que les salariés permanents par les accidents du travail. Une meilleure coordination entre tous les acteurs et davantage de formation pourraient renverser la situation. Pour vous, la Fondation Travailler autrement a lu le dossier et vous fait part de son décryptage.
Les intérimaires, des salariés à part dans les programmes de l’entreprise
Généralement, les entreprises ont recours aux intérimaires lorsqu’elles doivent pourvoir très rapidement un besoin, et qu’elles n’ont pas les compétences en interne pour le couvrir. En 2021, en France, 2,8 millions de salariés ont effectué au moins un contrat en intérim, notamment dans le BTP, la logistique et l’industrie. Si la durée des missions est variable – quelques jours à plusieurs mois –, selon le Code du Travail, une entreprise ne peut y avoir recours que dans des cas précis, « comme remplacer un salarié absent, faire face à un accroissement temporaire d’activité ou dans le cadre d’un emploi saisonnier. L’emploi d’un intérimaire ne doit jamais avoir pour motif et pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice » (Marie Boisserolles, chargée d’études juridiques à l’INRS, page 13). L’intérim suppose une relation triangulaire entre une personne, l’entreprise utilisatrice dans laquelle elle effectue sa mission, et l’agence d’intérim qui l’emploie (l’agence d’emploi).
Si l’intérim garantit une flexibilité pour le travailleur comme pour l’entreprise, les travailleurs intérimaires se retrouvent en contrepartie en position de nouvel embauché, sans connaissance de l’entreprise, sa culture et ses habitudes, ou maitrise de l’environnement de travail. Une position propice aux accidents de travail. Un constat mis en avant par Dominique Delcourt, directrice des affaires juridiques chez Prism’emploi : « Généralement, un défaut d’accueil et d’intégration favorise la survenue d’un accident » (p. 14). Du fait de la courte durée des contrats, le suivi médical (prévention en santé, rendez-vous avec la médecine du travail) n’est pas non plus évident.
Le dossier de l’INRS présente également d’autres inconvénients, notamment la présence de deux entités, l’entreprise utilisatrice d’un côté, l’agence d’emploi de l’autre, qui ne permet pas toujours une organisation fluide sur l’intégration du salarié et la prévention des risques. De plus, lors d’un accident grave, la prise en charge des frais revient à l’agence d’emploi aux 2/3, et à l’entreprise d’usage pour le reste. Dans les accidents moins graves, la prise en charge se fait même en totalité au niveau de l’agence. Selon Didier Dozas, ingénieur-conseil régional adjoint à la Carsat Sud-Est, « il n’est pas normal que l’impact financier suite à un accident du travail soit encore externalisé en 2022. » Il considère que « c’est un frein énorme à la prise de responsabilité des entreprises utilisatrices. Ça n’aide pas à mobiliser dans des démarches de prévention complètes » (p. 15).
Par conséquent, « les accidents du travail recensés dans l’intérim sont plus fréquents et plus graves que la moyenne » (p. 15). Par exemple, dans le BTP, « si l’intérim représente 11% des heures travaillées, il constitue 28% des accidents recensés et 19% des jours d’arrêt » (p. 18).
Des initiatives locales encourageantes
Le dossier de l’INRS présente cependant des initiatives locales d’entreprises et d’agences d’emploi qui font des efforts d’intégration des intérimaires. Des solutions qui mériteraient d’être généralisées, d’autant plus en raison des difficultés de recrutement actuelles sur ces métiers en tension. De fait, les intérimaires sont en position de force lorsqu’ils choisissent une agence d’emploi : « celles qui offrent de bonnes conditions de travail avancent des arguments de poids pour les fidéliser » (p. 15).
En Occitanie par exemple, les intérimaires qui travaillent sur les chantiers de gros œuvre doivent être en possession d’un CCTH (certificat de compétence au travail en hauteur). Cela leur permet de se familiariser avec le travail, et de s’adapter « plus rapidement au poste de travail et aux procédures de sécurité » (p. 16). La formation dure trois jours et doit être renouvelée tous les cinq ans. Le dispositif de formation a été lancé en 2017, et a permis de former près de 10 000 intérimaires jusqu’ici. Il est depuis intégré dans le plan régional santé au travail Occitanie, et se décline sur de plus en plus de métiers : charpentiers, couvreurs, étancheurs, plus récemment les menuisiers, serruriers, ou encore plombiers. Depuis cette mise en place, les agences d’intérim sur place ont enregistré une baisse de 15 à 17% des accidents du travail sur leurs chantiers.
Sur la construction du canal Seine-Nord Europe, qui mobilisera d’ici à 2030 jusqu’à 3 000 intérimaires, le volet formation SST inclut les intérimaires comme les salariés permanents, les mettant sur un pied d’égalité. Une politique que suit également l’entreprise Airbus Helicopters PACA, en assurant « au salarié intérimaire, durant sa mission, les mêmes conditions de travail, de santé et de sécurité que nos salariés permanents, en particulier sur l’accueil, la formation et l’intégration sur le site » (p. 19). Un principe qu’elle a écrit dans une charte de partenariat « Prévention-Sécurité », co-signée avec les agences d’emploi et la Carsat Sud-Est. Dans cette continuité, l’entreprise, les partenaires sociaux de la Carsat et Prism’emploi ont élaboré des fiches mémo « intérimaires, leur sécurité n’est pas temporaire », mises en ligne fin 2022 par la Carsat Sud-Est. Ces fiches abordent les conditions de travail, la sécurité et la santé au travail des intérimaires, le suivi médical, le partage des responsabilités entre agences et entreprises, l’accueil au poste, les bonnes pratiques et rappels réglementaires, etc.
Ces initiatives fructueuses en termes de prévention, d’intégration et de suivi sont encourageantes, mais « il est encore compliqué d’installer un mouvement de grande ampleur sur la durée dans le secteur » (p. 15). Bruno Antoinet, directeur du CIHL45 (un SPST), présente dans ce dossier une expérimentation collective en faveur des intérimaires en cours : « plutôt que de recevoir individuellement les intérimaires dans le cadre de visites d’information et de prévention, nous organisons des sessions par groupes de dix à quinze » (p.24), ce qui permet de créer une connexion entre eux. Ils se voient présenter les risques, moyens de prévention et points de vigilance liés au poste qu’ils occupent. Pendant l’atelier, les participants doivent remplir un questionnaire, qui permet de détecter un éventuel problème de santé, auquel cas ils sont redirigés vers la médecine du travail. Si tout va bien, ils reçoivent une attestation de visite d’information et de prévention, ainsi qu’un pack de prévention. L’université d’Orléans va évaluer ce dispositif, pour un possible déploiement.
La clef du succès : une coordination entre entreprise d’usage et agence d’intérim
Ces initiatives ne peuvent fonctionner sans la mobilisation de tous les acteurs, et notamment sans une coordination entre l’agence d’intérim et l’entreprise dans laquelle se trouve l’intérimaire. C’est ce qui permet à l’agence de proposer des personnes qui possèdent les compétences professionnelles demandées, et d’amener à une réflexion commune sur la sécurité.
Ainsi, il est primordial pour l’agence d’intérim d’avoir des contacts réguliers avec l’intérimaire et l’entreprise (manager, chef de chantier, etc) pour collecter les informations et transmettre plus facilement les messages sur la sécurité. L’entreprise Airbus Helicopters organise par exemple « des points mensuels d’une heure avec les responsables d’agences, sur des thèmes en lien avec la santé et la sécurité au travail » (p. 19). Elle facilite également l’accès des employés de l’agence d’intérim aux ateliers, et organise une visite annuelle. De plus, « chaque agence a deux interlocuteurs attitrés chez nous pour faire remonter d’éventuels obstacles auxquelles elle se heurte » (p. 19). Une stratégie qui porte ses fruits : le taux d’accidents du travail en 2022 était à zéro !
En Haute-Saône, les employés de l’agence d’emploi Crit ont une relation particulière avec Cofel Industries : dès que l’agence accueille un nouveau collaborateur, celui-ci est convié sur le site de l’entreprise pour découvrir son activité, ses postes, ses contraintes. Cela lui permet par la suite d’orienter les intérimaires au bon poste en fonction de leurs compétences, « au point de devancer parfois les demandes [de l’entreprise] lorsqu’un profil correspondant à ses potentiels besoins se présente » (p. 20). En conséquence de quoi le taux d’accidents est sensiblement le même entre le personnel intérimaire et les salariés permanents.
La situation des intérimaires, davantage disposés aux accidents du travail, n’est donc pas immuable. De fait, ce dossier de l’INRS a présenté des initiatives qui permettent de contourner les limites liées à leurs contrats courts. Toutes nécessitent une bonne coordination entre agences d’emploi et entreprises utilisatrices. Espérons qu’elles se généralisent !
> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : 3 questions à… Jean-François Naton, membre du CESE, L’usage des technologies au travail : quel impact sur la santé des collaborateurs ?, Le travail, c’est la santé ?, Intérimaires, indépendants… Quel management pour les travailleurs externes ?