4 Questions à… Sylvain Waserman, PDG de l’Ademe
Sylvain Waserman est Président Directeur-Général de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, qui met ses capacités d’expertise et de conseil à disposition des entreprises, des collectivités locales, des pouvoirs publics et du grand public, afin de leur permettre de progresser dans leur démarche environnementale. Il répond aux 4 questions de la Fondation Travailler Autrement sur l’impact de la transition écologique sur l’emploi.
La transition écologique entraîne la transformation de nombreux métiers. Comment l’ADEME accompagne-t-elle les entreprises dans la création de nouveaux emplois tout en favorisant la reconversion des travailleurs issus des secteurs les plus polluants ?
La transition écologique est bien plus qu’une réponse à l’urgence climatique : elle impacte notre économie et transforme le monde du travail. Aujourd’hui, elle représente déjà 421 230 emplois en France, avec une croissance de 24 % en seulement deux ans. Ce dynamisme s’appuie sur un marché en pleine expansion, estimé à 113 milliards d’euros en 2022, porté par trois secteurs clefs : les transports sobres, les énergies renouvelables et la rénovation des bâtiments résidentiels. Le rôle de l’ADEME est de faire de la transition écologique une opportunité, et cela passe par un soutien concret aux entreprises, aux territoires et aux travailleurs. Nous déployons des dispositifs diversifiés pour accélérer cette transformation :
- Des aides financières ciblées : un soutien aux entreprises et aux citoyens avec des aides spécifiques, par exemple pour l’acquisition de véhicules électriques (utiles pour leurs déplacements professionnels par exemple) ou la rénovation énergétique des bâtiments.
- Des appels d’offres stratégiques : nous structurons le développement des énergies renouvelables grâce à des appels d’offres dédiés. Ces projets génèrent directement de l’emploi, que ce soit dans la construction, l’exploitation ou la maintenance des infrastructures.
- Le soutien aux filières émergentes : Biogaz, hydrogène vert, récupération énergétique… En accompagnant ces filières, nous créons les conditions pour des emplois locaux, durables et non délocalisables.
Cette transformation ne peut être réussie sans une transition juste, qui accompagne les travailleurs des secteurs à forte empreinte carbone. Et pour cela, nous collaborons, d’une part, avec nos partenaires, puis nous identifions les compétences nécessaires à la transition énergétique et soutenons des formations adaptées aux nouveaux besoins du marché. Cela permet à des milliers de travailleurs de se reconvertir vers des métiers d’avenir. D’autre part, nous travaillons main dans la main avec les collectivités pour développer des projets qui favorisent la reconversion, comme dans les régions historiquement dépendantes des industries polluantes.
De plus, l’ADEME facilite les passerelles emploi grâce à des partenariats avec France Travail et des organismes de formation. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : des dizaines de milliers d’emplois ont été créés dans les énergies renouvelables, la mobilité verte ou encore l’efficacité énergétique. Et ce n’est qu’un début. L’enjeu est d’accélérer cette dynamique pour répondre à la fois aux besoins du marché et aux défis climatiques.
Face à l’engagement croissant des citoyens, et notamment des plus jeunes, dans la transition écologique, observez-vous une évolution dans leurs attentes vis-à-vis du marché de l’emploi ? Comment les entreprises peuvent-elles prendre en compte ces attentes pour les attirer et les fidéliser ?
Nous observons une mutation profonde des attentes des jeunes vis-à-vis du marché de l’emploi. Le critère numéro un n’est plus seulement un salaire attractif ou des perspectives de carrière : les jeunes veulent désormais du sens dans leur travail. Cette nouvelle dynamique redéfinit les priorités des entreprises souhaitant attirer et fidéliser ces talents.
Les entreprises doivent repenser leur stratégie de recrutement pour séduire toutes celles et ceux qui veulent œuvrer pour une société plus sobre. Cela passe par la mise en avant d’actions concrètes et mesurables en faveur de la transition écologique, l’implication des collaborateurs dans des projets environnementaux ou encore le développement d’une culture d’entreprise inclusive et engagée.
L’ADEME soutient également plusieurs initiatives inspirantes pour intégrer les jeunes dans la transition écologique. L’une des plus marquantes est le Service Civique Écologique, qui mobilise 1 000 jeunes ambassadeurs pour porter un message d’action environnementale auprès des citoyens les plus éloignés de ces enjeux, notamment dans les territoires ruraux et les quartiers prioritaires. Ces jeunes participent à des projets concrets, tout en sensibilisant les populations locales aux opportunités offertes par la transition écologique.
S’adapter aux attentes des jeunes n’est plus seulement une question de responsabilité sociale, c’est aussi une question de compétitivité. Lorsque les collaborateurs se sentent alignés avec les valeurs de leur entreprise et qu’ils ont l’opportunité d’agir pour l’environnement, leur engagement est renforcé. Cela contribue à créer une dynamique positive, où les jeunes deviennent eux-mêmes ambassadeurs de leur organisation. Ils ne demandent pas seulement aux entreprises de changer, ils veulent y participer. En répondant à ces aspirations, les organisations peuvent transformer les défis de la transition écologique en opportunités et se positionner comme des leaders du changement. A terme, ce sont les entreprises capables d’intégrer cette vision qui façonneront le monde du travail de demain.
Quelles qualifications doivent être mises en avant pour réussir la transition écologique dans les entreprises ?
La transition écologique redéfinit les compétences requises dans de nombreux secteurs d’activité. Pour réussir cette transformation, les entreprises doivent repenser leurs pratiques et s’appuyer sur des profils capables de piloter des stratégies bas carbones, d’innover dans des technologies durables et de mobiliser leurs équipes autour de ces enjeux. La montée en compétences des salariés est donc essentielle pour transformer ces défis en opportunités économiques et sociales.
L’ADEME accompagne les entreprises dans leur transformation grâce à une méthodologie reconnue internationalement : ACT (Accelerate Carbon Transition). Celle-ci évalue la maturité du plan de transition bas carbone d’une entreprise, quelle que soit sa taille ou son secteur d’activité. Cette méthode devient un avantage de plus en plus important pour les entreprises, puisqu’elle les incite à se décarboner et à être compétitives sur la base de leur niveau de sobriété. Elle est également incitative, car elle met en concurrence les entreprises grâce à l’évaluation. C’est une bonne chose que la législation et les mesures incitatives que nous mettons en place conduisent l’industrie sur une voie plus vertueuse car en 2026, les entreprises qui ne se décarbonent pas ne pourront plus répondre aux marchés publics qui comprendront tous des clauses environnementales.
Un patron d’une PME de verrerie dans l’Orne m’a dit, lors de notre rencontre, que ses clients du luxe annonçaient qu’en 2030, ils seraient totalement décarbonés, et que donc ce serait avec ou sans lui… pour lui, la décarbonation est donc une question de survie.
Se doter de compétences en transition écologique n’est donc plus une option, mais un impératif stratégique. Les entreprises qui mettent en place ces méthodes se positionnent non seulement comme des leaders du changement, mais attirent également les talents, de plus en plus sensibles à ces enjeux.
La transition écologique pose des défis complexes et parfois coûteux pour les citoyens, les travailleurs et les entreprises. Si l’urgence de la transition est bien comprise, passer à l’action reste difficile. Par où commencer ?
Les Français sont prêts à changer leurs modes de consommation : en privilégiant les circuits courts, en consommant au juste besoin, en réimaginant les activités du quotidien et leurs loisirs. Chaque consommateur, dans son rôle de citoyen responsable, doit prendre conscience de son propre impact sur l’environnement.
Prenons un exemple très concret parmi tant d’autres : celui de la bouteille de gel douche : chaque année en France, nous achetons 185 millions de bouteilles plastiques de gel douche qui finissent à la poubelle, plutôt que du savon. C’est l’équivalent de dix Tour Eiffel chaque années remplies de bouteilles de plastique. Il ne tient qu’à nous de changer nos habitudes pour acheter plutôt du savon, moins polluant et moins consommateur de ressources. Et pas besoin de loi : nous pouvons tous agir concrètement et immédiatement pour cela…
Pour encourager ces changements des habitudes du quotidien, le secrétariat général à la planification écologique, l’ADEME et la Dinum (Direction Interministérielle du Numérique) ont lancé le 16 octobre 2024 la version beta du site et de l’application « J’agis ». L’outil permet, après inscription et création d’un compte, de réaliser un « auto-diagnostic » de son empreinte carbone, avant d’accompagner dans le passage à l’action !
> Sylvain Waserman est Président Directeur-Général de l’ADEME depuis juillet 2023. Ancien Directeur général d’une ETI dans le secteur de l’énergie, il a également fait carrière dans les télécoms. Il a été Vice-Président de l’Assemblée Nationale pendant cinq ans et s’est engagé en tant que bénévole au sein d’Unis-Cité, association pionnière du Service Civique.
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