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3 Questions à… Florence Bonnevay, conférencière et consultante

Florence Bonnevay est conférencière, consultante, et également chargée d’études au au sein de la Chaire FIT2 de Mines Paris – PSL au sein de laquelle elle publie l’ouvrage « Le Capital Seniors : enquête sur la gestion créative des carrières et des compétences » avec Pierre-Emmanuel Médioni. Elle répond aux 3 questions de la Fondation Travailler Autrement sur les évolutions démographiques et l’emploi des seniors.

Quels sont, selon vous, les freins à la prise de conscience des entreprises de la valeur des seniors ?

L’âgisme que les seniors subissent constitue un premier frein majeur, car il demeure l’une des discriminations les plus tolérées en entreprise. Les seniors sont souvent perçus comme moins adaptables, moins performants ou en décalage avec les innovations, en particulier numériques​. En 2023, un senior sur 4 affirmait avoir été victime de discrimination au travail selon le baromètre du défenseur des droits publié en décembre dernier. Par ailleurs, l’idée que les seniors se trouvent dans une phase déclinante de leur carrière contribue à leur invisibilisation dans les processus de développement, de formation ou de promotion. À cela s’ajoute la culture des plans sociaux, héritage d’avant les années 2000, qui a quelque peu fait disparaître les seniors des organisations. Ils ont souvent été perçus comme un « coût » à réduire via des départs anticipés ou des plans de retraite. Ces pratiques empêchent une réflexion à long terme sur leur valeur réelle pour l’entreprise​.

On peut aussi souligner une gestion RH souvent inadaptée, avec une absence de politique spécifique : beaucoup d’entreprises n’ont pas encore intégré de stratégie dédiée aux seniors. Les DRH, focalisées sur la gestion des talents jeunes, négligent parfois les enjeux de transmission des savoirs et des compétences propres aux seniors​. Cela explique que les seniors se sentent souvent délaissés par leur entreprise, notamment en ce qui concerne les entretiens de carrière, la formation professionnelle ou les opportunités d’évolution. Ils sont ainsi freinés dans leur volonté de démontrer leur adaptabilité dans un monde professionnel en mutation rapide.

Ensuite, de nombreuses entreprises ne communiquent pas suffisamment sur la valeur ajoutée des seniors et ne mettent pas en avant des modèles inspirants ou des réussites intergénérationnelles​. Elles conservent par ailleurs une rigidité des modèles de carrière : elles continuent de fonctionner selon des modèles linéaires, valorisant principalement les trajectoires ascendantes, ce qui laisse peu de place à des parcours adaptés ou à des reconversions pour les seniors​. Ainsi, l’absence de dispositifs favorisant des rôles adaptés, comme le mentorat, les missions spécifiques ou le temps partiel, limite leur contribution.

 

Votre ouvrage « Le capital seniors : enquête sur la gestion créative des carrières et des compétences », co-écrit avec Pierre-Emmanuel Médioni, vient de paraître. Il met notamment en avant des axes essentiels que les entreprises peuvent mettre en place pour créer une dynamique inclusive. Avez-vous des exemples d’entreprises qui vont dans le bon sens ?

Oui, de nombreuses entreprises ont mis en place une dynamique inclusive reposant sur des actions concrètes et adaptées, mettant en valeur les compétences des seniors tout en répondant à leurs besoins spécifiques. Ces initiatives profitent non seulement aux salariés expérimentés mais renforcent également la performance et la durabilité des entreprises. En voici quelques illustrations.

  • Sur l’écoute des salariés :

Schneider Electric a mis en place des ateliers participatifs où les seniors partagent leurs expériences, leurs aspirations et leurs besoins. Ces échanges ont permis de concevoir des solutions adaptées pour les accompagner.

  • Sur la formation tout au long de la carrière :

Michelin propose des formations en anglais accessibles à tous, y compris pour les opérateurs qui ne le pratiquent pas au quotidien. De plus, l’entreprise forme des seniors au rôle de tuteurs pour accompagner les plus jeunes, valorisant ainsi leur expertise tout en renforçant leur sentiment d’utilité​.

  • Sur l’organisation de la flexibilité tout au long de la carrière :

NGE, dans le secteur des travaux publics, offre des transitions professionnelles pour prévenir l’usure physique et psychologique. Par exemple, des mécaniciens ayant atteint une certaine fatigue physique peuvent devenir formateurs internes, alternant entre missions sur le terrain et formation des équipes, pour équilibrer les exigences physiques et transmettre leur savoir-faire​.

  • Sur la gestion de la santé et la prévention de l’usure professionnelle :

Vicat propose des programmes de renforcement musculaire en collaboration avec des kinésithérapeutes pour aider les employés à préserver leur condition physique tout au long de leur carrière​.

  • Sur la valorisation des compétences et la création d’opportunités de transmission :

Framatome a mis en place une filière dédiée aux « experts » avec plusieurs niveaux de reconnaissance (expert, senior expert, fellow). Ces experts participent activement à des projets complexes et jouent un rôle clé dans la transmission de savoirs critiques à la nouvelle génération, renforçant ainsi la continuité des compétences stratégiques de l’entreprise.

 

Comment les seniors eux-mêmes peuvent-ils agir pour améliorer leur employabilité, notamment dans un contexte de transformation rapide des compétences et des métiers ?

Plusieurs leviers existent.

Ils peuvent par exemple adopter une posture proactive sur la formation et sur l’acquisition de nouvelles compétences, en identifiant notamment les compétences émergentes dans leur domaine et en s’inscrivant à des formations. Pour ce faire, ils peuvent notamment profiter de dispositifs comme le Compte Personnel de Formation (CPF) pour financer des apprentissages spécifiques. Dans ce sens, ils doivent s’assurer de montrer leur capacité à évoluer avec les outils et méthodes modernes, pour contrer les stéréotypes d’inadaptabilité -en suivant par exemple des formations numériques de base.

Leur expertise rare et leurs savoir-faire « environnementés » (= adaptés à un contexte précis) sont également un atout majeur pour leur employabilité. Ils ont tout intérêt à partager ces compétences en se positionnant comme tuteurs ou mentors auprès des plus jeunes, voire en documentant leurs expériences via des guides ou des formations internes.

Par ailleurs, les seniors peuvent construire un projet professionnel plus flexible et explorer de nouvelles opportunités professionnelles, comme des missions temporaires ou des activités de conseil. Ils peuvent également identifier des alternatives, comme le cumul emploi-retraite, le mécénat de compétences ou l’entrepreneuriat, pour rester actifs et mobiliser leurs savoirs​.

Enfin, l’attitude comptant autant que les compétences, ils doivent démontrer leur enthousiasme, leur engagement et leur volonté d’apprendre. Ils peuvent le faire en travaillant sur leur image professionnelle (participer à des événements, maintenir un profil professionnel à jour, utiliser des témoignages et recommandations…). Ils peuvent également s’impliquer activement dans des projets d’équipe ou des initiatives internes, tout en répondant de manière positive aux stéréotypes liés à leur maturité et à leur expérience.

Ainsi les seniors, loin d’être des acteurs passifs de leur parcours professionnel, peuvent jouer un rôle clé en prenant des initiatives pour s’adapter à un marché du travail en mutation. En s’appuyant sur leur expérience tout en restant ouverts aux nouvelles compétences et méthodes, ils peuvent non seulement renforcer leur employabilité, mais également contribuer de manière significative à la transformation des entreprises.

 

> Chargée d’études au sein de la Chaire FIT2 de Mines Paris – PSL au sein de laquelle elle publie l’ouvrage « Le Capital Seniors : enquête sur la gestion créative des carrières et des compétences » avec Pierre-Emmanuel Médioni. Florence Bonnevay, diplômée de l’ENSAE et de Sciences-Po Paris est également conférencière et consultante ; elle accompagne dirigeants et organisations dans leurs projets de transformation, après 30 ans d’expérience managériale dans le secteur financier.

> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : L’emploi des seniors face aux transitions démographiques, Métiers du lien : renforcer l’attractivité des métiers essentiels, Transition démographique : une opportunité pour le monde économique ?