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3 questions à… Laurent Tertrais, Secrétaire national CFDT Cadres

Laurent Tertrais est Secrétaire national CFDT Cadres, chargé de la QVCT, et rédacteur en chef de la revue Cadres. Il répond aux 3 questions de la Fondation Travailler Autrement sur la santé mentale des managers.

Selon vous, quels sont les principaux facteurs ayant contribué, ces dernières années, à la dégradation de la santé mentale des managers au et hors-travail ?

D’abord le contexte sociétal d’instabilité : la guerre, la crise politique, les crispations de la société, les effets de l’ampleur de la dette publique… peuvent impacter votre travail, a minima alimenter votre stress. Sans compter la crise sanitaire qui a opéré un tri violent sur l’utilité sociétale du travail.

D’ailleurs, la pandémie avait rappelé la centralité du manager de proximité par son rôle de coordination, d’animation, de projection, etc. Je me demande combien d’entreprises ou services publics en ont tenu compte à la sortie des confinements.

Enfin, ces dernières années, les grandes tendances opérant sur les organisations n’ont pas diminué : transitions, intensifications, et insoumissions (on pense notamment aux gilets jaunes…). Le monde du travail n’échappe pas au populisme avec des rapports passionnels (ou au repli) quand les organisations sont moins stables (et/ou plus rigides).

Résultat, un cadre sur deux est débordé et a trop de choses auxquelles penser, et un sur cinq est en situation de stress. On attend le résultat des enquêtes publiques fin 2025 avec impatience pour voir l’effet de ces dernières années.

Enfin, je constate que les cadres supérieurs et dirigeants ne sont pas – loin de là – épargnés. Et malheureusement, leur propre saturation et mal-être ressortent sur les cadres intermédiaires et les experts.

 

Comment les managers peuvent-ils accompagner leurs équipes sans s’épuiser eux-mêmes ?

La question de l’hygiène personnelle n’est pas nouvelle. Mon père cadre sup’ avait un bréviaire fourni par l’entreprise lui rappelant l’importance de prendre ses congés et de faire du sport… Je crois encore à l’importance d’une exigence pour soi mais être attentif à son éthique et à sa santé ne suffit pas : le contexte organisationnel fait tout.

Dit autrement, il faut donner aux managers des marges de manœuvre, les dessaisir de tâches hors-métier (donc redonner de la noblesse aux fonctions support), les rapprocher de leurs collaborateurs et leur permettre de manager par le travail réel et vécu. Et les former à l’analyse de l’activité et au dialogue professionnel, les reconnaître pour cela, plutôt que de les accabler de reportings et de responsabilités prescrites. Je prends l’exemple de leur propre rôle dans la prévention des risques psycho-sociaux ; sont-ils formés et rémunérés suffisamment pour cela ?

Notons enfin que la qualité de vie au travail s’est davantage dégradée pour les femmes, les plus de 50 ans et les cadres des administrations publiques, de santé et d’action sociale. Les directions sont jugées encore peu soutenantes par un manager sur trois. Il faut donner des moyens aux directions RH et aux instances de représentation.

 

Comment une meilleure organisation du travail peut-elle améliorer l’épanouissement des équipes (cadres et non-cadres) ?

Parmi les facteurs de surcharge, la pression temporelle est la première indication. C’est difficile de la réduire, mais à moins de travailler dans l’urgence (soins, sécurité), tout doit être détendu.

Il faudrait par ailleurs mettre en débat le travail lui-même, pour aborder les déterminants de la charge, les moyens, les situations limites, les conflits de critères de qualité de l’activité et celle des temps, etc.

Ceci doit être soutenu par un solide dialogue social, car il ne faut pas épuiser les managers à leur demander de tout organiser. Les accords collectifs peuvent tracer les grandes lignes managériales du bien-être : espaces de dialogue, moyens managériaux, articulations des vies, etc. C’est l’objectif de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) que de donner une cohérence d’ensemble.

Je revendique que la charge de travail soit un item obligatoire QVCT, et de même que l’entretien annuel sur la charge de travail soit étendu à tous les salariés. Ainsi peut-on mettre en œuvre l’écoute comme premier principe de prévention.

Le travail peut rendre heureux mais évitons de faire croire que c’est facile. Visons l’idéal d’augmenter l’autonomie des travailleurs, et aidons chacun à se reconnaître dans ce qui est fait, comme l’expliquent les ergonomes. On ne doit pas manager par le seul prescrit (« je te demande de faire, ou d’être… ») mais également évaluer la charge réelle (« comment comptes-tu faire ? ») et le ressenti (« que penses-tu de ce que je te demande ? ») qui est aussi légitime que la prescription.

 

> Laurent Tertrais est Secrétaire national CFDT Cadres, chargé de la QVCT, rédacteur en chef de la revue Cadres, et chargé de cours à l’université. Son dernier ouvrage : Les clés du travail. Du travail manipulé au travail retrouvé, Chronique sociale, 2024.

 

> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Métiers du care : comment le sens au travail préserve la santé mentale, Le travail, c’est la santé ?, 3 questions à… Christophe Nguyen, psychologue du travail et Président d’Empreinte Humaine