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Ce n’est pas parce que vous êtes en confinement qu’il faut travailler en pyjama

À l’heure du confinement imposé par la pandémie de Covid-19, une pratique professionnelle inédite pour beaucoup se développe : le télétravail subi. Si la mise en place de ce nouveau mode de fonctionnement est facilitée par les nouvelles technologies, il n’en reste pas moins que compartimenter vie personnelle et vie professionnelle demeure une des clés du travail à distance. Par Agnès Ceccarelli, Professeur associé, département Ressources humaines, ICN Business School

Ce cloisonnement peut être réalisé grâce à un espace-temps balisé et régulé. Mais, au-delà de cet aménagement spatio-temporel, comment se conditionner soi-même pour télétravailler efficacement ? Autrement dit, à quoi sert d’aménager un bureau organisé et équipé, des plages horaires structurées, si derrière votre écran, vous-même n’êtes pas dans une disposition professionnelle ? Et si une des raisons résidait dans la tenue vestimentaire que vous portez ? Est-elle adaptée à un contexte professionnel ou à une journée de relâchement ?

Un impact sur la perception de soi

La question mérite d’être posée car il semblerait que le vêtement, nos habits sculpteraient et orienteraient notre pensée. Dans la situation de télétravail subi dans laquelle se trouvent actuellement de nombreux Français, adopter une tenue liée à notre contexte professionnel du moment peut donc nous aider à se projeter en situation pour maintenir le niveau de performance.

Comme un acteur revêt la tenue de son personnage pour l’incarner, le représenter, se l’approprier et n’en sera que meilleur pour jouer le rôle et performer sur scène.

Si ce champ des sciences cognitives n’en est encore qu’à ses débuts, une étude publiée dans la revue Journal of Experimental Social Psychology en 2012, a développé des résultats intéressants. Ainsi, les chercheurs ont découvert que le port d’une blouse blanche décrite comme une blouse de médecin avait tendance à augmenter une attention soutenue, par rapport au port de cette même blouse décrite comme une blouse de peintre.

Parce que nous percevons les médecins comme ayant un niveau d’attention plus élevé pour les détails, nous commençons à prendre cette même qualité lorsque nous sommes habillés en médecins.

La blouse blanche renforce l’attention. Anna Shvets/Pexels, FAL

Une autre étude, menée en 2015, conjointement par des chercheurs des Universités de Northridge et de New York, et intitulée The Cognitive Consequences of Formal Clothing, a quant à elle prouvé que les hommes qui portent une tenue formelle (costume, chemise, cravate ou nœud papillon) développent une capacité de pensée abstraite plus importante.

C’est donc ce qui permet de prendre du recul, d’analyser et de réaliser des objectifs sur le long terme, alors qu’une personne faisant majoritairement appel à la pensée concrète se focalise sur les bénéfices immédiats, à court terme. À l’inverse, les tenues vestimentaires plus décontractées favorisent les pensées concrètes.

Cette étude se réfère au concept d’embodiment, c’est-à-dire à la façon dont nos pensées, nos sentiments et nos comportements se basent sur nos expériences sensorielles et sur nos positions corporelles.

Le simple fait de changer de tenue vestimentaire peut donc avoir un impact considérable sur la façon dont nous nous percevons. En effet, les individus s’évaluent eux-mêmes en utilisant les mêmes cadres qu’ils appliquent pour évaluer les autres. Tout indice extérieur tel que l’apparence ou les vêtements, qui affectent nos impressions sur les autres, peut également affecter nos impressions sur soi.

Le pouvoir des lunettes et de la blouse

Par exemple, des travaux ont montré que les individus croyaient avoir de meilleurs résultats à des tests lorsqu’ils portaient des lunettes, même si dans les faits leur performance réelle n’était pas supérieure. Dans ce cas, l’explication repose sur une croyance ancrée : les lunettes sont souvent corrélées à des capacités intellectuelles ou à un quotient intellectuel élevé.

Ainsi, une tenue adaptée à notre contexte professionnel peut nous aider à renforcer la confiance en soi ou l’estime de soi. Les personnes habillées de façon formelle dans un environnement professionnel formel présentent une perception de soi nettement plus élevée que celles qui portent des vêtements de loisirs ou de détente.

L’estime de soi et l’efficacité personnelle sont extrêmement importantes pour déterminer le jugement de sa propre valeur. Elles fonctionnent comme des indicateurs sur notre conviction quant à la capacité à atteindre des objectifs avec succès et efficacité.

Les individus estiment être plus performants lorsqu’ils portent des lunettes – même si ce n’est pas forcément toujours le cas. Andrea Piacquadio/Pexels, FAL

Les explications de ce mécanisme cognitif tiennent d’une part à la valeur symbolique et d’autre part à l’expérience physique liées au vêtement. Concernant la valeur symbolique, chacun accorde à un certain type de tenue des caractéristiques qui font souvent consensus : le costume est associé au pouvoir, au sérieux, à la finance, la blouse blanche incarne le savoir, la science ou le soin…

En outre, il semble y avoir un effet lié à l’expérience physique qu’implique de porter un vêtement et qui nous conditionne dans notre façon d’être et d’agir. En effet, certaines tenues vestimentaires (les vestes de costume ou de tailleur, les tenues ajustées, etc.), peuvent nous contraindre, nous limiter dans nos gestes et dans nos postures alors que d’autres (sweats, joggings, etc.) permettent au contraire une amplitude plus grande de nos mouvements et de nos attitudes.

Il s’agit en fait d’un discours performatif en forme de vêtement : se vêtir, c’est ressentir ; se vêtir, c’est devenir. Pour faire simple et court, être habillé en tenue de sport peut prédisposer à un regain d’énergie, rester en pyjama toute la journée et la journée disparaîtra dans les abysses de la procrastination.

De là à en déduire qu’endosser un costume de support héros nous donnera de supers pouvoirs…The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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